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2 - Le Groupe, lieu d'élaboration du traumatisme produit par la per te de l'emploi (ou la succession des différentes per tes)
Chaque individu réagit au traumatisme en fonction de la structure de sa personnalité. La perte de l'emploi peut provoquer des troubles différents en raison d'une part de l'importance que revêt le travail sur un plan conscient aussi bien qu'inconscient et d'autre part, en raison de ses réactions face aux expériences traumatisantes en général.
Ainsi, un sujet parfaitement adapté à cette société qui valorise à outrance le travail, peut se mettre à somatiser gravement s'il n'a pas d'autres intérêts venant équilibrer le surinvestissement dans le travail. Selon l'heureuse expression de SAMIALI, il s'agit ici d'un refoulement réussi, puisque toute pulsion créatrice, toute vie imaginaire est refoulée au profit d'une seule adaptation au travail et à la reconnaissance des normes imposées par notre société. La perte de l'emploi vient donc mettre en échec ce refoulement et la symptomatologie due à la désorganisation de l'appareil psychique portera souvent sur le plan somatique, ainsi que le décrit Pierre MARTY. Pour sortir de la situation conflictuelle, il 'y a pas d'autres moyens pour l'appareil mental que de tenter d'élaborer ce traumatisme. On se réfère ici à un concept freudien : celui du travail de l'appareil psychique qui transforme et transmet de l'énergie. Tout traumatisme sidère en quelque sorte ce travail et laisse s'accumuler cette énergie, faite d'excitation de natures diverses, sans lui donner la possibilité de se décharger. Normalement l'élaboration peut se faire, le traumatisme se transforme, se digère, passe aux pertes et profits si l'on peut dire pour nos sujets, toute la difficulté réside dans l'impossibilité de mise à distance de l'événement traumatisant, car on peut penser raisonnablement qu'il existe pour ces personnalités fragiles n'oublions pas qu'ils sont étiquetés chômeurs à hauts risques une carence du système projectif. Pour rétablir la voie normale de décharge des affects, le groupe a des effets cathartiques. Par la parole répétitive, insistante, multiple, on assiste à des reviviscences de l'expérience traumatisante, s'accompagnant d'effets émotionnels plus ou moins intenses. On peut commencer à estimer que le traumatisme causé par la perte de l'emploi est en voie de résolution lorsque les Sujets peuvent se dégager du présent unique, lorsqu'ils envisagent la simple notion du futur possible. Le groupe offre aux participants la possibilité de vivre ensemble la perte de l'emploi, de la mettre en commun en quelque sorte. Le douloureux et artificiel lien du début du groupe évolue. Le groupe devient le cadre, le contenant, tandis que le contenu s'enrichit sans cesse des informations, des différents points de vue, des expériences de tous... On peut avancer l'idée que le groupe accomplit ici un travail de deuil par rapport à l'état de chômeur, c'est-à-dire que nous avons assisté à tout un processus intérieur impliquant une activité du sujet, qui l'amène à une rupture avec l'objet perdu, en l'occurrence le travail. Ce détachement est difficile à réaliser car on ne veut rien perdre, même pas quelque chose qui vous est pénible.
C'est lorsque la distanciation se fait à l'égard de l'ancienne activité professionnelle que les participants constatent avec surprise, et ceci avec une grande fréquence dans les groupes, qu'en fait ils n'aimaient pas beaucoup leur ancien métier, malgré toute cette aura prestigieuse dont est entouré le temps "où l'on travaillait". Il est indispensable de franchir le cap, de dépasser cette ambivalence pour que le désir de l'avenir puisse surgir. Ne nous faisons pas d'illusion, tous les participants ne pourront pas faire ce travail pendant le temps imparti, mais autorisons-nous à penser, étant donné les nouvelles qui nous parviennent en suivi, qu'ils le franchissent tout doucement, même après la date de fin.

C'est de ce temps que nous parlions, quand nous disions plus haut qu'il faut en perdre, du temps. On s'aperçoit qu'il existe une corrélation entre le temps mis à retrouver un travail et le plaisir qu'on éprouvait à effectuer le travail antérieur. Ceux qui dans le temps des trois semaines vont retrouver un emploi sont des personnes qui vont retrouver un travail similaire, mais où ils se sentiront mieux utilisés, s'étant découverts entre temps des ressources nouvelles jusque là inexplorées. Tel Michel, 35 ans, ouvrier plombier, qui, après avoir construit seul la maison de sa famille, recherchait un emploi d'ouvrier maçon avant de participer au groupe : il quitte celui-ci pour occuper un poste de responsable de chantier dans une entreprise de maisons individuelles. Fadila, 19 ans, n'avait jamais réussi à débuter. Sa spécialité : aide-comptable. Elle nous dit au téléphone : "Je ne sais pas comment je vais faire pour choisir. Chaque fois que je vais à un entretien, on me propose le poste. Maintenant j'y vais relaxe. On me demande d'ailleurs où j'ai appris tout cela. J'ai l'impression d'avoir une grande expérience!..."

3 - Le travail du deuil est entrepris, il per met ainsi de passer à la dimension imaginaire, de voir son passé au futur des entreprises.
L'impossibilité de parler de son travail, de le présenter en termes clairs et précis persiste pendant toute une semaine : "Je ne faisais rien d'intéressant" "Je n'ai rien à dire"... Un grand flou masque l'activité professionnelle passée, comme si le temps avait fait son ?uvre d'oubli sur la réalité des gestes, des actes, des intentions, des pensées. Ces phrases s'inscrivent dans une constatation douloureuse. Le maximum de la souffrance va se situer au moment où, dans le groupe, l'animateur demande de réaliser l'exercice suivant : Choisir parmi une liste de 112 verbes représentant des activités, les 15 qui se rapportent le mieux à des actions professionnelles ou extraprofessionnelles menées dans son passé. Bien que ces verbes retranscrivent des activités dynamisantes, certains participants vont les ramener à des processus négatifs. Le rôle de l'animateur est justement de pointer et de faire repérer cette tendance à tourner un schéma actif en schéma passif et à renouveler des comportements dévalorisants. Cet exercice fait découvrir aux participants le fait que toute profession, qu'elle soit appréciée ou non, peut se décrire en termes de réalisations. On a toujours fait quelque chose de valorisant, avec des termes dynamiques on devient acteur de ses actions passées.

4 - Le groupe lieu de fécondation et de créativité.
Le mauvais objet, le travail perdu, est donc disséqué et mis à distance. Mais on ne peut reconstruire sans base. Les bases utilisables sont : son activité professionnelle passée, ses connaissances (que l'on aimerait utiliser), ses traits spécifiques de personnalité (traduits en terme d'actions menées), ses centres d'intérêt et les gens que l'on a envie de rencontrer dans un milieu professionnel. Dans un exercice de créativité appelé "La Fleur", on les utilise pour étendre son champ d'action, pour comprendre ce qu'il faudrait changer, améliorer.
Des éléments nouveaux apparaissent. On entrevoit la possibilité de s'octroyer un désir. Une autre image de soi se dégage. Un peu irréelle, étrange et inquiétante. On s'y refuse ? rêver, fantasmer est perçu comme dangereux : "Ca sert à quoi de rêver dans notre société ? Cela fait peur. C'est du temps perdu". Mais le groupe projette pour le participant. Il le voit dans l'avenir : "Puisque tu sais faire cela, que tu t'intéresses à ça, je te vois bien..." Il lui donne, presque de force, une activité imaginaire qu'il a perdue depuis longtemps. Des propositions créatives auxquelles il ne s'accordait pas le droit, perçues comme extravagantes, deviennent non seulement réalisables mais aussi la véritable porte de sortie. La pression du groupe oblige le participant à agir son désir, à lui donner forme et vie.
Nous devons cependant relever un danger de détournement de l'objectif. Comme l'a relevé ANZIEUX, certains rêvent leur désir et satisfaits de cette réalisation hallucinatoire, ne font rien. Ne changent pas. Ainsi, Francis, attaché commercial de 38 ans, intégré deux jours en retard dans le groupe, et fier de ses "belles lettres de candidature", continuait à s'arranger, même après le groupe, pour échouer dans ses démarches ou entretiens. LE Groupe fût pour lui uniquement un lieu de régression et de plaisir (C'était un bon Sujet!) . Il n'a d'ailleurs rien pu en dire le jour de son évaluation, sinon que : "l'animateur était très patient et l'observatrice était agréable à regarder".

5 - Le groupe lieu de naissance. Un dernier moment douloureux : faire son deuil du groupe.
Certains se refusent à cette image que le groupe leur renvoie. Ils sont encore trop piégés dans leur réalité et le monde de leur perception. Mais ils se laissent séduire : "Si les autres qui sont dans le même cas que moi, disent qu'ils me voient comme ça...". Avidement cela pose question, cela intrigue... Ceux-là mettront plus de temps que d'autres à réaliser un nouveau projet professionnel. Le groupe change, devient moins sécurisant ? les repères, les "complices", le discours de chacun changent. Tout se bouleverse sous leurs yeux. Auparavant l'animateur encourageait l'accès à l'imaginaire. Il propose maintenant à chacun d'ajuster son rêve, entre guillemets, avec la réalité économique et sociale extérieure au groupe. On va travailler sur la qualité de son originalité en s'impliquant dedans. Les participants se transforment, mais aussi l'animateur qui demande à présent des démarches, des rendez-vous, des actes. Enfin ! Le temps presse !

C'est un nouveau moment douloureux qui s'apprête. Nos chômeurs avaient pris et leurs rôles dans le groupes ? Certains même, encore plus fragile que les autres, n'ont utilisé le groupe que pour prendre conscience qu'ils existaient ? d'autres sont partis, ont déjà trouvé un emploi... A présent, il va falloir quitter le groupe, se débrouiller tout seul. C'est une autre perte qui se profile. Non seulement il faut changer son projet, mais il faut aussi se séparer du groupe où l'on renaît lentement... En fait, la nécessité de la transformation ne se fait sentir que lorsque la certitude de la séparation apparaît, comme une compensation que le participant s'octroie. Cela ne va pas sans un douloureux retour sur soi, mais c'est au moment de la perte du groupe et de la rencontre avec soi-même, dans cette communication active, comme le dit WINNICOT, c'est-à-dire dans cette parole que l'on se tient à soi-même, dans cette expérience première et ultime de solitude, que naît l'?uvre créatrice. C'est une bien grande expression, mais elle est encore insuffisante pour retranscrire cette révélation qui s'abat sur le groupe dans les derniers jours : "Je sais ce que je veux faire et je sais comment y arriver". L'analyse du rôle de l'animateur demeure une des difficultés de notre entreprise. Fait-il fonctionner le groupe selon les deux possibilités proposées par Didier ANZIEU dans son livre "Le groupe et l'inconscient", c'est-à-dire sur le mode d'un transfert au père tout puissant, mode d'Idéal du Moi, ou sur le mode d'une réassurance narcissique, Moi Idéal ? la réponse est ambiguë, peut être les deux modes sont-ils utilisés durant les trois semaines que dure le groupe ?
Une certitude : l'animateur n'interprète jamais un comportement individuel ou un comportement du groupe. Lorsqu'un dialogue s'engage entre un participant et lui-même, l'animateur reformule immédiatement à l'ensemble du groupe la réponse qu'il donne ou la question qui lui est posée, quelquefois difficilement en raison de différences linguistiques. Tout doit être clair, il fait la chasse à l'obscur. La remise en question personnelle propre à un fonctionnement de groupe est le résultat de l'application d'exercices qui se succèdent à un rythme déterminé à l'avance. Des exercices ou l'on écrit, où l'on parle, où l'on se déplace, où l'on joue et qui permettent tout un déplacement dans l'imaginaire. L'animateur est directif et assume pleinement son rôle. Il a un projet pour ce groupe? en quelque sorte, il accepte d'être celui qui désire pour le groupe pendant un certain temps. Cette position lui permet de manifester son propre plaisir devant les initiatives et le goût d'indépendance de certains ou ses inquiétudes quand il lui semble que certains autres comptent un peu trop sur lui. Ce comportement renvoie donc les participants à la quantité d'énergie qu'ils mobilisent consciemment pour remplir leur contrat.
Tout l'art de l'animateur est de faire entrevoir la possibilité d'un travail source de satisfaction et de mettre en ?uvre dans le groupe une possibilité de fantasmatisation dont il est le support conscient par les activités et les exercices qu'il propose.

Conclusion Ce type de groupe très particulier, avec une tâche précise à effectuer sur le mode psychosociologique, à partir duquel nous pouvons aussi observer les phénomènes produits dans un groupe de diagnostic, nous interroge. Plusieurs constatations s'imposent :
La situation grave des participants, complètement démunis, prouve que la vie imaginaire n'est jamais coupée. On n'est jamais en état de carence complète sur le plan imaginaire.
C'est seulement dans la mesure où il y a accès à la vie imaginaire que se produit ce décollement et que les participants peuvent accepter une autre réalité que celle du chômage. Le temps de chômage est aussi long que le travail déplaît. Il faut rompre avec son passé professionnel pour l'utiliser comme base à un nouveau projet. C'est le groupe qui permet à ce type de personnalité de devenir créatif. Une loi implicite fait fonctionner le groupe. Dans son drame, chacun considère avoir une chance de participer à celui-ci.
C'est une de leurs premières découvertes.
D'autres groups avec une population identique vont suivre. Nous porterons toute notre vigilance sur le danger du professionnalisme, c'est-à-dire ce piège tendu par la théorie qui maintient définitivement la pratique dans un cadre sclérosant.
Nous prônons pour nous aussi, chercheurs dans ce domaine difficile de l'insertion professionnelle, un droit à l'imaginaire et un accès à la créativité.
Dominique Clavier
Avec la collaboration de Bernadette Imbert

Communication présentée au
Deuxième Congrès de Psychologie du Travail de Langue Française
Paris, 31 Mars - 3 Avril 1982.

 



Situation de Non Emploi et Image de Soi chez le Travailleur
Bilan professionnel, choix de carrière et expériences de groupes
Dominique Clavier

Résumé
En quoi le fonctionnement d'un groupe peut-il aider chacun de ses participants à cheminer dans ses problématiques face à son repositionnement de carrière ? Comment un groupe peut-il aider à revaloriser son image de soi au travail ? Quel est en réalité l'intérêt de proposer un travail de groupe à des personnes vivant une situation d'isolement et de repli sur soi ?
Quelles sont les limites de ce processus ?
Cet article relate les premières expériences réalisées en France de groupes restreints et limités dans le temps (3 semaines) avec pour objectif, pour chacun des participants, un travail d'élaboration de projet professionnel et une recherche d'emploi.
Dépassement des rancoeurs et de l'agressivité, relation avec son travail et recherche d'emploi, blessures narcissiques, image de soi au travail, relation avec la Société, risques de somatisation, élaboration des traumatismes liés au travail, accès à l'imaginaire et cheminement du groupe, sentiments de création de soi, loi et norme de groupe, deuil du groupe, ? autant d'éléments que nous devons toujours prendre en compte pour favoriser l'évolution de chaque participant en confrontation avec la réalité et l'obligation de changer.
Comment procéder en groupe, alors que chacun a une problématique différente face à l'emploi ?
Comment la diversité des situations personnelles peut-elle être prise en compte ? Travailler en groupe, n'est pas travailler avec plusieurs personnes dans une même salle, autour d'une même table. Il est question d'une toute autre posture, d'un tout autre regard que l'on doit porter avant tout sur l'entité groupe et non plus sur un ensemble d'individus. Dès le début des années 80, au coeur de l'une des premières crises économiques, cet article tente d'en présenter les éléments essentiels: les principes du travail de groupe, l'intérêt du bilan de compétences, l'importance du projet professionnel.


Quand on entend parler "Chômage", on entend au moins trois discours : Celui des média, avec sa trop grande compassion qui ne fait que détourner psychologiquement le chômeur de sa véritable question. Ce discours, plus inhibiteur que créatif, lui permet de projeter un sens à un matériel ambigu, lui donne raison de sa situation et le renforce dans son système.
Celui des gens de la rue, comme par exemple :
Vous rendez-vous compte Mme Deschamps, M. Laville n'a toujours pas trouvé de travail !
Oh ! Ma chère vous savez, si on ne trouve pas de travail, c'est qu'on ne veut pas !
Tout de même avec ce chômage...
Mais ils sont bien contents !!!
Celui que nous connaissons le mieux est entendu dans nos groupes, tel cet homme avec une spécialité d'ordonnancement qui commence sa présentation par :"Qui voudra de moi à 32 ans, alors que je suis inutile à la Société ?".
Quelle est notre prise en compte de ces "vérités", pour nous qui produisons des recherches sur les groupes de personnes en recherche d'emplois, financés par différentes organisations telles que les Assurances chômage ou les Régions ou l'Etat, avec des populations de cadres, techniciens, employés, ouvriers, femmes n'ayant jamais travaillé, étudiants, loubards, prisonniers ?

Notre méthode, empirique, bannit tous discours psychologiques interprétatifs. Nous nous reposons principalement sur l'expérience des personnes observées plus de 2500 personnes pour 1981et la richesse collective.
C'est à l'occasion de groupes expérimentaux d'une durée de trois semaines, constitués de chômeurs dits "à hauts risques" et réalisés grâce à la direction nationale de l'ANPE (Agence Nationale Pour l'Emploi), que nous avons entrepris cette recherche spécifique et présentons ici quelques hypothèses sur les circonstances psychiques qui favorisent ou pénalisent un sujet face au retour à l'emploi. Nos informations sont complétées par des entretiens avec des demandeurs d'emploi ne connaissant pas l'existence de nos actions, en formation professionnelle ou non, ayant de huit jours à plus de trois ans de chômage, d'âges et de catégories professionnelles différents, ainsi qu'avec du personnel de l'ANPE, des employeurs, des travailleurs en situation et d'anciens sujets observés et suivis.

Notre ton et notre style paraîtront à certains peu rigoureux, car nous utilisons simultanément deux grilles de lecture, la grille psychosociologique pour décrire le travail effectué et la grille analytique, car, par notre expérience de l'analyse individuelle et de la dynamique des groupes de type analytique, nous avons l'impression qu'elle constitue une voie d'éclaircissement et permet de comprendre ce qui est agité et produit dans ces groupes très particuliers.
Nous devons préciser aussi que cette étude n'engage que nous-mêmes et en aucun cas l'ensemble des institutions participantes.
Nous présentons successivement :
Les différentes étapes des processus observés à l'intérieur du groupe par l'intermédiaire des exercices proposés.
Un essai d'analyse du rôle de l'animateur de ce type de groupe.
Enfin, nos hypothèses pour ultérieurement donner un cadre conceptuel à une théorie qui ne peut exister que par une confrontation à la pratique pour s'améliorer sans cesse.

Durant sa période de chômage, un demandeur d'emploi passe par des phases psychologiques tout à fait inhabituelles dans une vie consacrée au travail. Cela peut aller d'une recherche de soi à un surinvestissement d'activités, à des somatisations importantes ou à des inhibitions bloquant l'individu pendant plusieurs semaines, voire plusieurs années. Parler entre amis de ce qui nous passionne est facile, voire valorisant pour ceux qui détiennent le savoir sur le sujet débattu. Structurer un message sur le même sujet et dire pourquoi on perçoit les événements de telle manière est déjà plus difficile à réaliser. Mais imaginons que ce sujet qui nous passionne soit, pour nous, l'unique possibilité d'exister socialement et que, sans cet objet d'investissement, nous nous trouvions totalement démunis.
Quelle serait notre propre organisation mentale en cas de perte d'emploi ? Sans doute, me direz-vous, je vais investir ailleurs, c'est-à-dire faire ce dont je rêve depuis longtemps, profiter de cette occasion de rupture, dont l'initiative me faisait peur, pour évoluer et entrevoir d'autres possibilités de vie sociale. Une telle réaction, qui aujourd'hui nous semble logique et naturelle, est possible pour bon nombre de travailleurs. Mais en vérité, dans cette situation vous ne pourriez le dire. Ce serait compter, pour l'ensemble des chômeurs, sans cet événement traumatisant, cette blessure narcissique qu'est la perte de l'emploi, car si l'on a du mal à stopper une conversation de travail avec des gens qui ont une activité professionnelle, la même conversation devient impossible avec des gens privés d'emploi. Les recruteurs le constatent tous les jours : cerner clairement l'activité professionnelle passée d'un candidat est parfois une gageure. Ce qui était déjà difficile à structurer pour le communiquer en période active, devient totalement impossible à exprimer lorsque l'on se considère "rejeté", "sur la touche", "vexé", "insulté". La perte de l'emploi est une blessure narcissique au même titre que le deuil, le vieillissement, la mise à la retraite et certains êtres sont dans l'incapacité d'élaborer de tels traumatismes. On ne fait jamais n'importe quel travail. Même si le hasard ou le Destin au choix a donné l'impression d'être le seul maître. Pour nous, le choix professionnel et l'attitude face au travail possède un contenu inconscient et sont les produits de phénomènes psychiques se situant dans une lignée associative Narcissisme, Idéal du Moi, Sublimation, etc. ...On entre dans le vie professionnelle en fonction de nos identifications, en fonction du rejet ou de l'acceptation de l'image du travail léguée par nos parents et éducateurs. Et il semble bien que moins on investit dans son activité professionnelle, plus on dépend du chômage et de ses allocations. L'énergie non polarisée et libre de tout investissement tourne à vide, se dilue. On s'accorde le mérite du chômage comme un moindre mal. Mais les allocations, comme un dû, ne comblent pas longtemps. La complicité qu'elles entretiennent avec cette situation pénible et dévalorisante d'une activité où l'on n'éprouvait pas de plaisir, conforte les gens dans l'idée qu'ils ne trouveront pas un travail plus intéressant. D'où un manque d'enthousiasme dans les démarches, un manque d'intérêt pour les formations qui se rapprochent du dernier métier, des ratages en tous genres qui confirment qu'on ne s'en sortira pas à moins d'un miracle. Beaucoup sont convaincus de ne plus rien pouvoir pour eux-mêmes. Changer d'orientation signifie obligatoirement bénéficier d'un soutien ou d'une image valorisante du travail, indispensable lorsqu'on constate un éloignement de la vie professionnelle d'une durée de un an, deux ans, voire sept ans. Les participants aux groupes s'en sont bien rendu compte, eux dont la vie était jalonnée par des dépressions, des somatisations, des tentatives de suicide et, dans le meilleur des cas, par des stages de toutes natures ne débouchant jamais sur une offre d'emploi stable.

En résumé, nos participants au groupe sont des gens fragiles qu'une erreur d'estimation risquerait de désorganiser à nouveau. Il convient de ne pas leur donner de conseils. Avec eux, nous inventorions leurs diverses capacités à accomplir favorablement ou non et à plus ou moins long terme tel ou tel choix. Cela avec la plus grande prudence, sans interprétation et sans intervention brutale risquant de provoquer par trop leur inconscient. Nous ne sommes pas en psychothérapie, même si le travail accompli peut se dire thérapeutique par la remise en questions qu'il produit le plus souvent. L'état d'esprit au début du groupe voit prédominer de grands sentiments de solitude et d'angoisse, auxquels va se rajouter cette question :"Ca fait si longtemps que ça dure, est-ce qu'on n'est pas encore en train de perdre du temps ?". La question est bien posée : on s'apercevra en effet, que, du temps, il va falloir en perdre pour, à la fin du compte, en gagner.
Par l'intermédiaire des exercices proposés, nous avons dégagé, dans la progression du travail du groupe, différentes étapes des processus observés :
1 - Le groupe est le passage d'un état de reproduction du discours véhiculé par les média à un questionnement personnel. Au début, chacun se présente. Il est écouté et interpellé par les autres participants et l'animateur. L'expression sera ensuite favorisée par la création d'affiches en sous-groupes exprimant la représentation du vécu du chômage, de la vie professionnelle et les attentes par rapport au groupe. Pour les réaliser, chacun apporte des revues à découper, des ciseaux, de la colle etc... Une fois fixées aux murs, ces affiches, sur lesquelles une part importante d'agressivité (vis à vis de l'ANPE, la Société, l'Entreprise, la Crise, le Syndicat, le Patron, le Petit Chef) a été plaquée, ne présentent plus que peu d'intérêt. Sans nier une seconde le rôle de ces "autres", sans gommer la réalité des circonstances sociales difficiles que nous vivons, il arrive cependant un moment où l'on ne peut éviter de se poser le problème de sa propre responsabilité.
Ainsi, d'un agrégat d'individus exprimant ses ranc?urs vis-à-vis d'une « Société Mère » rejetante, ranc?urs s'exprimant par la parole, l'écrit, le visuel et le corps il faut structurer son espace dans la salle pour faire ces affiche son passe à un groupe qui secrète une norme de nature messianique. Les questions posées : 'Pourquoi est-on là ? Est-ce qu'on est des cobayes ? Est-on plus bêtes que les autres (chômeurs) ?" montrent à l'évidence un sentiment de malaise chez une majorité de participants. "Les choses ne vont pas", "Je dois m'y prendre mal", "De toutes façons ça ne marche jamais"... Toutes phrases indiquant qu'ils sont désormais prêts à s'impliquer dans ces échecs. Même si chacun organise ses défenses pour ne pas y croire, le groupe est maintenant disponible pour entreprendre la tâche qui va lui être proposée.