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Le travail de deuil
La notion de deuil nous éclaire sur ce qui se joue dans toute expérience de séparation. L'expression « travail de deuil » désigne un processus psychique conscient et inconscient qui intervient à la suite de la perte d'un objet d'amour ou d'une abstraction tel un idéal, une patrie, sa liberté, un espoir, etc. Elle caractérise l'activité inconsciente du sujet pour s'en libérer. Dans Deuil et mélancolie, Freud caractérise ainsi le travail accompli : «... L'épreuve de réalité a montré que l'objet aimé n'existe plus et édicte l'exigence de retirer toute la libido des liens qui la retiennent à cet objet. Là s'élève une rébellion compréhensible... » Ce qui est normal, c'est que le respect de la réalité l'emporte. Mais la tâche qu'elle impose ne peut être aussitôt remplie. En fait, elle est accomplie en détail, avec une grande dépense de temps, l'existence de l'objet perdu se poursuivant psychiquement. Chacun des souvenirs, chacun des espoirs, par lesquels la libido était liée à l'objet, est mis sur le métier, surinvesti, et le détachement de la libido est accompli sur lui (....). Le Moi, après avoir achevé le travail du deuil, redevient libre et sans inhibition.

Le processus de deuil
Le deuil a un travail bien précis à faire. Il doit séparer, mettre à distance l'objet perdu et les attentes du sujet. Pour ce faire, l'individu va passer par des étapes que nous appellerons « processus de deuil », c'est à dire un ensemble de phases identifiables : le choc et le soulagement, le refus, la colère, la position dépressive, le doute, le marchandage et le constat. On rapproche généralement ces phases aux étapes de l'agonie mises en évidence par Kübler Ross. En effet, Kübler Ross les a identifiées au cours de ses expériences d'accompagnement « dans les derniers instants de la vie » de personnes atteintes d'un cancer.

1. Le choc et le soulagement
Ce qui nous est familier nous sécurise. Prendre l'initiative d'une rupture est impossible. D'où le soulagement devant une situation éclaircie « par la force des choses ». Cette punition menaçante et attendue est là, avec laquelle il faudra « faire avec ».
Nous avons relevé de façon systématique dans nos entretiens, un sentiment de soulagement lié au choc du licenciement comme une action de séparation du Moi sous l'influence d'une menace. Le choc trouve son origine de l'extérieur. Il est générateur d'angoisse.
Le soulagement touche l'intérieur, les conflits internes vécus depuis quelques temps et le plaisir que l'événement engendre. Une partie trouve satisfaction, « je n'ai plus à aller travailler et à me confronter à mes obligations », une autre tient compte des réalités frustrantes et révélatrices d'angoisse.
Il semble que ce mouvement de clivage puisse être soit structurant et moteur de développement, soit défensif et, dans ce cas, un obstacle à la croissance psychique et relationnelle. Il est fréquent de vivre ce moment comme un moment de confusion et de non­ différenciation. Le conseiller sera gagnant s'il arrive à aider son client à différencier ses sentiments et à les identifier. Dans le cas contraire, la confusion se transformera en mouvement défensif prolongeant le temps de l'accompagnement de manière conséquente. Ne pas être capable de cerner clairement à la fois le bénéfice d'une situation, ses risques, ses dangers et ce qui est interne à l'individu et ce qui provient de l'extérieur, favorise une perte des repères et l'incapacité à se situer dans l'espace et dans le temps. (La personne ayant, par exemple, gardé un fort attachement au passé et qui n'arrive pas à se situer comme vivant dans le présent, perd une partie de ses capacités à se repérer dans le temps. Il lui est alors extrêmement difficile de se projeter dans le futur. Seul un ancrage dans le présent permet de situer à leur juste place, passé et futur)

2. Le refus, ou mise en place d'un mécanisme de déni
Le déni n'est pas un sentiment mais une mise en actes. Après la culpabilité en relation avec la gestion de soi et de son travail et celle liée à la gestion de ses propres responsabilités (voir le descriptif du profil : « Celui pour qui ?hors de cette entreprise-là, point de salut?. ») et le soulagement décrit plus haut, c'est une autre réalité qui émerge : le vide. On n'y croit pas. C'est un « mauvais rêve ». Pour en prendre conscience, il faut se répéter à soi-même quelque chose comme « je n'ai plus de travail ». C'est le refus d'y croire, le sentiment de solitude. C'est l'isolement total devant l'événement. Le déni est cependant complémentaire et imbriqué totalement avec le stade précédent. Cela ne concerne que soi. Seul face à ses responsabilités, les valeurs, les intérêts, les projets du moment traversent l'esprit et ne trouvent plus de raison d'être. Tout passe au second plan. Il n'y a plus d'espoir.
On fait le tour des relations professionnelles, comme si l'on voulait retrouver les traces que l'on a laissées avant de partir, comme s'il nous était impossible de quitter le milieu dans lequel on a évolué, même si celui-ci paraissait être inacceptable. Le réintégrer d'une façon ou d'une autre semble la seule solution. On recherchera les occasions de se rendre, pour une raison importante ou futile, à son ancien lieu de travail. Partager un repas ou prendre un verre avec d'anciens collègues. Tout se passe comme un rite obligatoire.
« C'est à ce groupe-là que j'appartiens. »
« C'est sur ce dossier là que je travaillais.»
« Nous faisons du très bon travail, etc. »
La situation est niée. C'est un leurre que l'on entretient. Toutes les démarches iront dans le même sens :
chercher à rester en contact avec son ancien milieu professionnel sur le plan concret ou fantasmatique et, ainsi, refuser la réalité d'une perception vécue comme dangereuse ou douloureuse pour le Moi. Tout se passe comme si une partie de l'individu reconnaissait intellectuellement la situation et l'autre ne pouvait l'accepter tel cet adolescent qui dit à Freud : « Je sais que mon père est mort. Ce que je ne peux pas comprendre, c'est pourquoi il ne vient pas dîner. » (L'interprétation des rêves).
Le déni, présent dans le fonctionnement psychique du client, trouve aisément écho chez l'entourage qui y participe volontiers. « Découvre-t-on un déni, c'est qu'il y a un péril extérieur.» La personne refuse de parler de ses réalités et de ses implications pour chaque élément de la famille, chaque situation habituelle. Qu'est-ce que cela va changer dans les habitudes, que peut-on ou doit-on mettre en place ? Quelles sont les conséquences de la perte ? Quels sont les choix que cela implique ? De son côté, le conseiller participe au déni en s'empressant d'aborder la situation comme un problème à résoudre rapidement, au lieu de procéder à un inventaire systématique de la situation pour la faire reconnaître et accepter, favorisant ainsi un questionnement avec l'entourage. Il ne s'agit pas de mettre en place un scénario catastrophe, mais plutôt d'identifier ce qu'il sera nécessaire d'affronter et d'oser s'accorder des bénéfices.

3. La colère
Face au rejet, il arrive que le sujet réponde par une identification à l'agresseur et cherche le moyen de dire au monde qu'il n'est pas détruit. Comme il se sent attaqué dans son intégrité, il attaque le monde extérieur. « Que vais-je devenir ? »
« Pourquoi moi ? C'est injuste. »
« Je l'ai toujours dit, s'ils avaient investi dans du bon matériel, on aurait été plus rentable. »
« Ils ont voulu couler la boîte, c'est pour cela qu'ils l'ont engagé. »
L'angoisse qui submerge la personne, la pousse à agir rapidement tout en refusant de se confronter aux réalités :
« Pourquoi réfléchir à ce que je souhaite faire ? Il me faut juste un curriculum vitæ. »
« Je ne suis pas comme les chômeurs, moi, je vais chercher tout de suite un travail. D'ailleurs, je n'ai plus un moment à moi pour les deux semaines à venir. »
On se rend bien compte de l'inefficacité de sa colère (certains parlent de rage). Son expression ne soulage même pas et se reportera éventuellement sur les institutions qui accompagnent la vie de l'individu dans la situation présente. Dans Le sens du désespoir, André Haynal précise que la défense maniaque (suractivité, égo surinvesti...) est la négation de la réalité psychique par l'excitation. Une tentative pour nier la réalité intérieure. Chargés de l'ambivalence amour/haine, combien n'attendent-ils pas de l'administration qu'elle leur donne un travail ? ou de l'argent ? et quittent celui qui les reçoit en entretien en le traitant d'incompétent notoire, son organisation incluse. Le plus souvent, ce dernier n'a fait que lui renvoyer un pâle reflet de son comportement. Le refus inconscient de sa propre agressivité pousse parfois à la retourner contre soi-même :
Punition ?
Névrose d'échec ?
Tentative d'autodestruction, mortification ?
Ce mécanisme, qui peut être dangereux, révèle avant tout une grande souffrance psychique. La pulsion de mort entrerait pour une part dans le retournement de l'agressivité contre soi-même.
La souffrance psychique dans le contexte de perte d'emploi, bien qu'aujourd'hui admise comme principe réel et concret, reste très souvent niée ou déviée. Sa réalité est à la fois trop personnelle, trop forte et trop «impliquante» pour être facilement reconnue et acceptée par l'autre.
L'inconfort et le réveil de souffrances personnelles du conseiller peuvent être tels, face à un client en souffrance psychique, qu'il est tentant, après quelques rapides paroles de réconfort, de recentrer le débat sur les objectifs du jour. Faciliter l'expression de cette souffrance chez le client, reformuler ce qui est exprimé en l'aidant à lui donner du sens dans le cadre de ses démarches, lui permettrait d'être plus à même de s'investir avec succès dans celle-ci. « Je suis un accroc » exprimé par un client, illustre ce mécanisme particulièrement douloureux et pénible à vivre. Mais il y a aussi le cas de l'agressivité retournée vers un substitut de mauvais objet.


Alexandre le malheureux
Alexandre était architecte et travaillait pour un grand groupe de construction immobilière. Sa créativité était reconnue. Son intérêt pour entreprendre et conduire des équipes lui permettait de canaliser son énergie. Le groupe immobilier se fait racheter par un organisme financier étranger. Une restructuration est annoncée. Alexandre perd son emploi.
Quatorze mois s'écoulent. Rien ne lui permet de penser qu'il trouvera un nouvel emploi un jour, lui qui avait une telle créativité. Comment est-ce possible de la laisser perdre ainsi ? Le monde est stupide et ne comprend vraiment rien. Alexandre ne sait plus où chercher et quelles démarches effectuer. Il exprime sa souffrance et son désespoir à un conseiller de l'agence de l'emploi. Celui-ci le recommande à un cabinet en prenant en charge ses frais d'accompagnement. Il est reçu par le responsable qui, après l'entretien, le réfère à l'une des associées. Alexandre accepte, tout en exprimant sa déception de ne pas être suivi par le patron.
Alexandre s'implique dans l'espace qui lui est offert. Il entreprend une réflexion importante sur lui, sa carrière, ses choix de vie, son projet professionnel, etc. Une relation forte se met en place avec la conseillère. L'énergie qui était investie dans son métier d'architecte et qui s'est trouvée disponible, suite à sa perte d'emploi, se trouve canalisée dans ce travail de réflexion. Alexandre est, on ne peut plus positif sur le processus d'accompagnement, malgré une agressivité latente et une relation de pouvoir importante.
Tout se passe très bien sauf une seule chose qui alerte la conseillère : Alexandre parle de son agressivité envers sa femme et de son envie de l'étrangler (qui semble plus être de l'ordre de la pulsion que du désir) au cours de leurs fréquentes disputes. Il fait l'objet d'une réunion de contrôle. L'hypothèse émise en groupe de travail est qu'Alexandre a surinvesti le cabinet comme lieu valorisant l'image du travail, le survalorisant et le gratifiant lui-même. Alors que son épouse, à la maison, dévalorise l'image du travail comme un lieu rejetant et humiliant. Ce clivage pouvait mettre en danger sa femme mais peut-être aussi sa conseillère puisqu'il s'agit de deux facettes d'une même problématique : il serait aisé de passer de l'état de bon objet à celui de mauvais objet.
Le travail entrepris par la conseillère dans la séance suivante fut sur le thème : qu'est-ce que chacune ? la conseillère et sa femme ? représente pour lui face au travail ? Cette question lui a permis de travailler sur la clarification de ses investissements. En remerciant sa conseillère, le jour où il a été confirmé dans son nouvel emploi, Alexandre a souhaité rendre hommage au génie du directeur de l'avoir confié à une femme si extraordinaire. Le supposé savoir du directeur était à la hauteur de la relation d'Alexandre avec le pouvoir.


À ce stade, il est encore difficile de s'approprier un nouvel espace d'investissement. Surtout si celui-ci renvoie la confirmation de son image dévalorisée. « L'espace chômage » n'est pas un espace stable, fiable, un espace potentiel qui pourrait être investi et permettrait de se reconstruire. Il est encore plus difficile de le maîtriser que celui de son ancienne entreprise.

4. La position dépressive
L'aspect dépressif fait partie du répertoire des réponses. Le sentiment dépressif est une expérience subjective universelle du développement humain. C'est aussi l'un des moyens par lesquels l'homme tente de maîtriser la frustration, la perte. C'est un sentiment d'inadéquation face à une image de ce que nous avons été et de ce que nous avons perdu. L'origine de ses sentiments ne pouvant être identifiée pour le sujet, reconnue, c'est ensuite le repli sur soi qui échappe à toute récupération intellectuelle. C'est le vide, le porte-à-faux, le trou. Ce qui était familier est devenu étranger avec l'extérieur comme avec soi-même. La déception est souvent liée à un décalage entre l'idéal du monde, l'image attendue et la réalité. Le Moi, le conscient se trouvent en perte de repères de temps, de lien de contact. Ils sont fondamentalement en perte d'énergie.

Le monde est stone
« J'ai plus envie d'me battre
J'ai plus envie d'courir.
Comme tous ces automates
Qui bâtissent des empires
Que le vent peut détruire
Comme des châteaux de cartes... »
(Extrait de la chanson Le monde est stone. Paroles : Luc Plamondon, musique : Michel Berger, 1978)

La position dépressive se caractérise par un état marqué par une tristesse accompagnée de douleur morale, d'une perte de l'estime de soi et du sentiment de culpabilité. On se sent abattu moralement, avec moins d'énergie, fatigable, démoralisé et généralement anxieux. Sur le plan physique : des troubles du sommeil, troubles de l'appétit (anorexie ou boulimie), ralentissement de l'activité physique (inhibition motrice) et d'un ralentissement moteur.
Le sujet peut être confronté à des moments d'inertie et de non­ capacité à faire. Tout paraît trop difficile, trop compliqué. L'état présent semble devoir être éternel.

L'anxiété
État affectif douloureux qui consiste en l'attente poignante d'un danger imminent, imprécis et inconnu. C'est une peur sans objet (peur que l'on ne peut attribuer à un objet précis).
Si la position dépressive est liée au passé, l'anxiété, de par sa nature, est liée à l'avenir, à ce qui pourrait arriver. La forme la plus « pure » est l'angoisse dite flottante, qui peut être permanente ou survenir par crises paroxystiques.

La culpabilité
Sentiments d'une personne qui se juge coupable. Se sentir responsable d'une faute, d'un mal, d'une action.
Être à l'origine d'actions que l'on juge après coup blâmables. Le mot « sentiment » ne doit être employé qu'avec réserve dans la mesure où le sujet peut ne pas se sentir coupable au niveau de l'expérience consciente. Le sujet vit un état affectif consécutif à un acte qu'il tient pour répréhensible. La raison invoquée pouvant être plus ou moins adéquate (auto reproches d'apparence absurde). Ou encore sentiment diffus d'indignité personnelle sans relation avec un acte précis dont le sujet s'accuserait.
La culpabilité est liée à l'objet perdu, ou d'une façon plus complexe, à l'entourage. Le sujet se perçoit comme coupable de la mort, de la perte ou nie la réalité trop brutale. Il se sent comme perdu, atteint de la même maladie qui a entraîné la mort, risquant le même accident, coupable de son détachement de l'objet, coupable d'être coupable, coupable de ne plus accepter de se sentir coupable, etc.
La situation de rupture en général et de perte d'emploi en particulier est, en soi, génératrice de sentiments d'échec et de culpabilité. Elle peut raviver des situations antérieures douloureuses et forcer des constats : « Je n'ai pas fait au moment souhaité ce qu'il fallait, je n'ai rien vu venir, je ne suis pas assez compétent, j'étais le meilleur, qu'est-ce que je n'ai pas compris ? Je n'ai pas la bonne formation : je suis coupable. »
Ces sentiments d'échec et cette culpabilité sont-ils gérables ou au contraire parasitent ils toutes démarches ? Enferment-ils dans l'immobilisme ?
Pour certains analystes, il existe dans tous les cas un sentiment de culpabilité. Il découle de la conscience qu'a un sujet de détruire ce qui est aimé, de défier ce à quoi on est soumis. Ce qui est le cas dans le processus de deuil et de mise à distance progressive d'un objet d'attachement. Le travail de deuil ne peut se réaliser pleinement tant que la culpabilité est fortement présente.

La culpabilité liée à la perte.
Dans le cas d'une perte d'emploi, la culpabilité trouvera support sur les plans de la famille, de l'entreprise, de son métier, de son propre chômage ou de celui des autres, de soi ou de ses collègues, de ceux restés au pays, de ses anciens professeurs, etc. Les raisons sont nombreuses et grandes sont les possibilités pour en trouver. Insistons sur ce point. Voici quelques exemples :
- Après les efforts qu'ont fait mes Parents pour que je sois bien formé...
- Je suis en stage de formation, mais en réalité je n'en profite pas vraiment.
- Ma culpabilité m'empêche de faire des démarches.
- Je suis là à réfléchir sur mes aspirations professionnelles alors que ceux qui sont là bas n'ont rien d'autre à faire que de travailler dur et de crever de faim.
- Je ne me suis pas accordé les bons moyens pour réussir.
- Ils m'ont fait confiance, je ne l'ai pas mérité.
- Je suis le seul de la famille à ne pas travailler.
- Je mets le budget de la famille en déséquilibre.
- L'avenir de ma famille est en péril.
- Je n'ai pas vraiment tout fait pour maintenir l'entreprise de façon compétitive.
- Je n'ai pas bien géré ma carrière.
- Je vais les tromper (anciens collègues) si je "quitte" l'entreprise pour un autre emploi.
- Je reste troglodyte.
- Je n'ai pas respecté les règles de l'entreprise.
- J'ai mal choisi ma formation.
- Je suis une charge pour la société.
- J'ai trop d'orgueil pour accepter n'importe quoi.
- Je perds le bénéfice de mon expérience acquise.
- Je n'ai pas assez d'expérience (ou de connaissances).
- Je ne m'informe pas suffisamment.
- J'ai quitté mon travail, alors qu'il n'était pas si mal.
- Je dépends financièrement de mes parents.
- Je ne me prends pas en charge.
- Je ne lutte pas.
- Je recherche le plaisir et je refuse de prendre n'importe quoi comme travail.
- J'ai arrêté mes études.
- Je n'ai pas de désir précis.
- Je fais exprès de ne pas rechercher du travail.
- Je fais tout pour rester dans cette situation.
- Je suis inutile.
- Je suis en dehors du système du marché du travail.
- Je pense que je ne suis pas capable de retrouver du travail.
- J'ai envie de faire autre chose que ce que je suis capable de faire.
- Chaque matin, mes enfants partent à l'école.
- A la maison, c'est ma femme qui fait bouillir la marmite.
- Je participe à un stage et mes enfants croient que je vais travailler.
- Je ne suis pas en mesure d'assurer une sécurité matérielle à mes enfants.
- Je ne suis pas crédible auprès de mes enfants (travailles si tu veux avoir une bonne situation plus tard).
- Je ne suis pas dans la norme.
- Je n'ai pas limité mes dépenses au strict minimum.
- On va me prendre pour un délinquant.
- Je prends du temps au conseiller alors que d'autres personnes ont peut-être plus besoin de lui que moi et qu'il est si difficile d'obtenir un rend-vous.

Le travail de deuil ne peut se réaliser pleinement tant que la culpabilité sera fortement présente.
Dans une situation de rupture, l'enjeu est de ne pas se laisser détruire par l'expérience de la perte. Bien entendu, il ne s'agit là que de sentiment à un moment où la confusion est grande. Mais le sujet est confronté à cette réalité. Il devient nécessaire de se sentir toujours vivant. Obtenir la preuve de sa propre existence. Plus le fantasme de destruction sera prégnant, plus la culpabilité remplira un rôle important. Être coupable, c'est aussi se vivre comme responsable. Et si une personne se sent responsable c'est que, face à des événements écrasants, elle a encore une part d'action sur ceux-ci, « elle y est pour quelque chose ». C'est aussi pour elle-même, la preuve que l'expérience douloureuse à laquelle elle est confrontée n'a pas réussi, jusqu'à présent, à la détruire. C'est pourquoi, il est difficile d'accepter le diagnostic d'être non coupable. Ce serait s'enlever ce pouvoir. La destruction de la personne, de son Moi est une menace puissante. Ce qui est vécu dans le processus de deuil serait un mécanisme de défense contre un processus régressif trop important qui mettrait en danger la personnalité de l'individu. Winnicott va plus loin en considérant que c'est un signe sain, dans la mesure où cela implique que l'individu a la capacité d'utiliser un environnement qui est devenu disponible afin de rétablir une existence.
La culpabilité devenant la preuve de son existence, le conseiller ne peut y toucher. Ce sentiment fait partie intrinsèque de la construction de la personnalité. Mais alors, que faire puisque nous savons que tant qu'il y a culpabilité, le processus de deuil ne peut se dérouler ? Commençons par ce qu'il ne faut absolument pas faire. Imaginons la scène suivante : un client vient au rendez-vous fixé avec son conseiller. Il débute l'entretien en disant qu'il se sent mal. Il craint de ne pouvoir offrir un séjour au soleil à sa femme et à ses enfants cet hiver. « Je suis vraiment nul, ils ne méritaient tout de même pas cela ! » Le conseiller se dit que tout de même, ce n'est pas si terrible que cela. Il y a bien plus malheureux que cette famille. Ils se rattraperont l'année prochaine. Ils vont survivre ! Et puis, pourquoi se culpabilise-t-il comme cela ? Et lui dit : « Ce n'est pas de votre faute si votre entreprise a fermé. » Le conseiller agit avec son bon sens. Enfin... avec ce qu'il pense être du « bon sens ». Sa réflexion n'a pas été poussée suffisamment pour se rendre compte qu'en faisant cela, il nie littéralement l'existence de son client. En lui disant « arrêtez de vous culpabiliser », le conseiller lui dit, en substance, « arrêtez d'exister » !

5. Le doute et le marchandage
Une fois attiré vers le bas, le sujet ne voit pas ce qui peut l'aider à se relever. Il a consommé ses capacités d'affirmation de soi face à ces deux organisateurs : l'ordre du plaisir et celui du doute. C'est donc un marchandage intérieur avec lui-même sans qu'il soit dupe des compensations qu'il s'accorde. Elles ne permettent pas de combler le manque, le travail perdu.
Il s'octroie des droits, des privilèges, la possibilité de ne rien entreprendre. « Dans le fond, cela fait un temps fou que je travaille et depuis le temps que je cotise... »
Le doute peut être aussi le refus d'un travail différent, mais tout à fait acceptable :
« Je veux exactement ce que j'avais avant » ou, le plus souvent observé, une conduite d'échec. Soit au moment des démarches de candidatures où tout semble être fait pour ne pas intéresser l'interlocuteur. Soit dans les entretiens d'embauche où la conduite est caractéristique de quelqu'un qui fait tout pour présenter les traits d'une personnalité défaillante, une incompétence pour le poste à pourvoir ou un désintérêt marqué pour l'activité proposée.
Soit durant la période d'essai afin de ne pas se faire engager définitivement.
Soit... durant ces trois étapes.
Cela peut aussi être le désir de suivre une formation qui, il le sait bien, n'apportera aucune solution au véritable problème à résoudre et ne fera qu'ajourner l'échéance. C'est la réponse devant l'incertitude, le risque et le besoin souvent inconscients, de régression et de maternage.

6. Le constat
« L'espoir c'est fini ». L'espoir de retrouver l'emploi perdu est dissous. C'est le moment où l'on n'attend plus rien. Il n'y a plus ni espoir, ni désespoir. Le sujet accepte d'être là, au jour le jour, sans trop savoir comment il s'en sortira. C'est aussi l'étape où il estime avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour s'en sortir, même si dans la réalité cela ne se vérifie pas forcément. « Avoir tout fait pour s'en sortir » correspond, pour nous, à une confusion où le vécu est projeté sur une activité imposée par les codes « moraux » de la société : la recherche d'une nouvelle situation.
Insuffisante du point de vue quantitatif ou du point de vue créatif parce que dans une situation d'inhibition où l'accès à l'imaginaire est en état de carence, l'activité consciente s'enrichit du vécu inconscient, de manière à maintenir un équilibre. Cette projection comme mécanisme de défense est nécessaire, car il est insupportable d'admettre que l'on ne s'est pas accordé tous les moyens pour répondre au problème posé. D'autant plus qu'aujourd'hui, on se sent totalement incapable de faire évoluer la situation.

Il est remarquable que ce déplaisir de la douleur nous semble aller de soi. Mais le fait est que le moi, après avoir achevé le travail du deuil, redevient libre et sans inhibition". Pour que le détachement s'accomplisse permettant de nouveaux investissements, une tâche du processus psychique est nécessaire : "Chacun des souvenirs, chacune des attentes par lesquels la libido était liée à l'objet sont présentifiés, surinvestis et sur chacun s'accomplit le détachement de la libido". C'est ce qui fait dire, dans certains jargons, qu'il est nécessaire de tuer "l'objet perdu". La fonction de l'agressivité envers l'objet perdu permettrait effectivement ce détachement attendu.

Il y a une gradation entre le deuil normal, les deuils pathologiques et la mélancolie.
Les deuils pathologiques présentent de façon plus ou moins marquée une ambivalence du sujet vis à vis de l'objet perdu ainsi qu'un glissement incessant de sens. Les processus de l'organisation psychique mettent en oeuvre dans les symptômes observés, des mécanismes tels le déplacement et celui de la condensation : -déplacement : une représentation souvent d'apparence insignifiante peut se voir attribuer toute la valeur psychique, la signification, l'intensité originellement attribuées à une autre et reliée par une chaîne associative ; -condensation : en une représentation unique peuvent confluer toutes les significations portées par des chaînes associatives qui viennent s'y croiser.

Dans les deuils pathologiques, la culpabilité est liée à l'objet perdu, ou d'une façon plus complexe, à l'entourage. Le sujet se perçoit comme coupable de la mort, de la perte ou nie la réalité trop brutale, se vit comme perdu, atteint de la même maladie qui a entraîné la mort, risquant le même accident, coupable de son détachement de l'objet, coupable d'être coupable, coupable de ne plus accepter de se sentir coupable, etc... Dans le cas d'une perte d'emploi, la culpabilité trouvera support sur les plans de la famille, de l'entreprise, de son métier, de son propre chômage ou de celui des autres, de soi ou de ses collègues, de ceux restés au Pays, de ses anciens professeurs, etc...

Dans la mélancolie, une étape supplémentaire est franchie. Le moi est identifié à l'objet perdu. La comparaison entre deuil et mélancolie fait apparaître, dans ce dernier cas, non seulement la suspension de tout intérêt pour le monde extérieur, l'appauvrissement de toute relation, ainsi qu'un ensemble d'inhibitions, mais, à la différence du deuil, une perte de l'estime de soi allant jusqu'à une autodestruction complète de toute sa vie par le sujet.

Cette notion de travail du deuil permet, ainsi, de réarticuler les rapports du normal et du pathologique. Pour sortir de la situation conflictuelle, il n'y a pas d'autres moyens pour l'appareil psychique que de tenter d'élaborer le traumatisme. On peut commencer à estimer que le traumatisme causé par une rupture est en voie de résolution, lorsqu'on peut se dégager du présent unique, lorsqu'on envisage la simple notion du futur possible. J'avance l'idée qu'ici est accompli un double travail de deuil face à une situation de rupture avec son emploi. Travail de deuil, par rapport à la perte de la situation professionnelle, en tenant compte de tous les affects qui s'y rapportent et aussi, extrêmement important, un travail de deuil par rapport à l'état de chômeur.

 

Rupture, Traumatisme et Perte d'Emploi
Dominique Clavier 1992, 1994, 2006.



Perdre son emploi ou, parfois, changer simplement de lieu ou de conditions de travail provoque une rupture. Rupture avec la forme de liens établis avec celui-ci qui généralement sont en relation avec ceux réservés à la vie hors travail. A la fois partie intégrante de la vie de l'individu et de son passé, cette relation disparaissant (ou n'étant plus la même) nous pourrions dire, avec Renaud Sainsaulieu, que pour beaucoup, provoquer un changement dans leur situation professionnelle c'est provoquer "une inévitable perte de sens" et "d'abord et avant tout une perte d'identité". Cette rupture peut être vécue de façon traumatique avec le sentiment qu'une partie de soi et de son histoire disparait. Comme si tout ce qui fut vécu auparavant disparaissait en éliminant de ce fait tout espoir d'avenir.

Citons un exemple caractéristique de cette perte d'identité, de soi-même et de son histoire : les mines en France, qu'elles étaient de charbon ou d'ardoises, ont fermés leurs puits condamnés les uns après les autres pour des raisons, entre-autres, de non rentabilité. Le personnel étant dans l'obligation de procéder à une reconversion. Je me souviendrai longtemps de ces groupes de mineurs de fond me décrivant leur situation. Ce qui m'a semblé le plus dramatique à vivre de leur part est le fait que la mine matérialise leur histoire depuis de nombreuses générations. Le frère, le père, l'oncle, le grand-père, l'arrière-grand-père, etc.?, tous ont travaillé dans la mine. Leur culture c'était la mine, leur église s'y trouvait, tout comme l'école et leur maison. Il est naturel de penser que le fait que ces mines ferment n'est pas un mal pour l'humanité. Sans aborder les répercussions économiques, les conditions de travail et les risques pour la vie des mineurs, que ce soit du point de vue des accidents du type "coup de grisou" ou du point de vue santé avec la silicose ne peuvent que renforcer dans cette opinion. Malgré tout ceci, l'attachement, le mode de relation avec la mine est cependant tel, que les morts, "ceux qui y sont toujours" ne sont pas oubliés et tout à fait perdus. Tant bien même la douleur était grande le jour de l'accident. Ils restaient des héros, la fierté de l'entourage et le modèle des plus jeunes. La mine fermée, ils deviennent perdus. Leur "sacrifice", comme une fatalité garantissant la vie de ceux au grand jour, aura été vain. L'histoire et l'avenir disparaissent. Eux, ne répondront pas aux attentes et ne deviendront jamais des héros. Leur fin est irrespectueuse vis à vis des anciens, c'est une trahison et la culpabilité, voire la honte prennent rapidement le pas, renforcées par le sentiment de rejet.

Comme dans toutes situations de rupture, il semble bien que l'on ne puisse saisir le phénomène de la perte d'un emploi, si l'on ne prend pas en compte ce qui a été perdu. Faisons l'hypothèse que ce qui est perdu se situe, selon l'individu, sur les différents plans et modes de relation avec son travail et son environnement social et familial :
- Perte, selon une hypothèse inspirée du travail de Winnicott, d'un Espace Culturel Entreprise, d'un Espace Potentiel et d'un Espace Transitionnel entre l'individu et l'entreprise, lieu d'expressivité de son savoir-faire. Phénomène appartenant au domaine de l'illusion, à la base de l'initiation culturelle.

- Perte du lien établi avec l'entourage professionnel, c'est-à-dire le mode de communication au travail répondant à des besoins inconscients personnels et trouvant ses origines dans l'histoire de l'individu. Cette rupture implique blessure narcissique et sentiment de rejet, d'abandon et de culpabilité.

- Modification de la forme du lien établi avec l'entourage familial, donc perte d'un mode de relation connu. Le mode de communication appris dans la famille d'origine et reproduit dans celle construite une fois devenu adulte, peut s'en trouver modifié. Il y a là perte de repères, impliquant, aussi parfois, blessure narcissique ou sentiment d'abandon et de culpabilité.

- Perte d'un élément de son histoire personnelle, lié à un fragment de l'histoire de son lieu de travail perdu et à partir de laquelle se sont élaborés des projets, des espoirs, et toutes formes de construction psychologique permettant d'entrevoir un futur possible. Toute rupture peut être ressentie comme la perte d'une partie de soi, de son Moi, psychologique ou corporel.

- Perte de sa forme de relation au Travail. Selon son lien privilégié avec son travail, l'individu perdra un lieu d'étayage, de relations sociales ou de valorisation narcissique, un moyen d'expression de son savoir-faire et de valorisation de son Moi par les résultats obtenus, la possibilité de se vivre tel un professionnel et de se faire reconnaître socialement avec un statut, valoriser, voire sublimer ses pulsions agressives et sa combativité, perte, aussi des moyens de structuration de sa personnalité par la confrontation à des situations d'obligation et des repères qu'elles sont amenées à fournir.

- Perte de sa relation avec "l'Objet Travail", preuve tangible de sa capacité à produire et objet de garantie de sa survie. Ce qui peut entraîner des angoisses insurmontables face à la moindre difficulté qui se présentera.

- Perte d'une image idéale de soi l'obligeant à se découvrir face à l'entourage, tel "qu'il serait lui-même" et non "ce qu'il a été jusqu'à présent".

Il est donc compréhensible que dans une période de rupture avec son emploi, un homme ou une femme (indifféremment, insistons sur ce point) passe par des phases psychologiques tout à fait inhabituelles dans une vie consacrée au travail. Cela peut aller d'une recherche de soi, à un surinvestissement d'activités, à des somatisations importantes ou à des inhibitions bloquant l'individu pendant plusieurs semaines, voire plusieurs années. Ainsi, comme chacun de nous peut l'observer, cette période peut être une occasion pour "saisir sa chance", entrevoir une évolution et d'autres possibilités de vie sociale ou, au contraire, nous constatons des ratages en tout genre, qui confirment qu'on ne s'en sortira pas à moins d'un miracle. La blessure est trop grande, trop profonde obligeant à découvrir son incapacité à relever la tête.

Rupture et traumatisme
La perte d'un emploi (mais aussi parfois, un simple changement dans une situation professionnelle) est une rupture au même titre qu'un divorce, la perte d'un espoir, d'un objet auquel on tenait et rappelant une partie de sa vie ou une personne en particulier. Cette rupture signifie généralement, pour le sujet, une cassure, une destruction, et le pousse à croire le fait qu'il porte en lui le noyau de sa propre désintégration. Elle est d'autant plus vécue comme menaçante pour son intégrité qu'elle place le sujet devant ses failles et ses peurs d'affronter à nouveau la réalité du marché de l'offre et de la demande de compétences. Cette peur fait parfois dépenser à l'individu, une importante énergie pour l'occulter, la chasser de la conscience. Elle nécessitera dans ce cas, un lourd travail sur soi pour réussir à la dépasser.

Une rupture est parfois la condition pour favoriser un renouvellement. Dans ce cas, se maintenir dans son équilibre, dépasser la situation favorise l'accès à un autre niveau d'existence et de perception de sa situation.

Mais une situation de rupture avec son travail, vécue comme menaçante pour l'intégrité de l'individu, est une blessure narcissique, un traumatisme au même titre que le deuil, le vieillissement, la mise à la retraite. Trauma vient du grec : blessure et percer, désignant une effraction. La psychanalyse utilise le terme traumatisme pour signifier un choc violent, une effraction avec des conséquences sur l'ensemble de l'organisation psychique. Un traumatisme est lié à un événement qui provoque chez une personne une forte émotion entraînant, par suite de son incapacité à y répondre de façon immédiate et adéquate, des troubles psychiques ou somatiques. La gravité de l'impact de ces traumatismes dépend en grande partie de l'importance de la reviviscence de traumatismes antérieurs qu'ils déclenchent.

Chaque individu réagit à ce traumatisme en fonction de la structure de sa personnalité et de son expérience culturelle. Certains êtres sont dans l'incapacité d'élaborer de tels traumatismes. Ils se considèrent "rejetés", "sur la touche", "vexés", "insultés" et dans ce cas c'est l'occasion pour le sujet de s'enfoncer sur la voie de la régression, de l'involution. Je me réfère au travail de l'appareil psychique qui transforme et transmet de l'énergie. Tout traumatisme sidère, bloque, en quelque sorte, le travail de l'appareil psychique et laisse s'accumuler cette énergie surabondante, faite d'excitation de nature diverse, sans lui donner la possibilité de se décharger. Normalement, l'élaboration peut se faire, le traumatisme se transforme, se digère. Face à certains événements qui sont spécifiques avec l'histoire de l'individu, toute la difficulté réside dans l'impossibilité de mise à distance de l'événement traumatisant. Car on peut penser raisonnablement qu'il existe pour certaines personnalités fragilisées, une carence du système projectif.

Les effets pathogènes que provoque le traumatisme dans l'organisation psychique sont durables. Il est possible de constater des troubles différents en raison d'une part de l'importance que revêt le travail, sur un plan conscient aussi bien qu'inconscient chez un sujet donné et d'autre part en raison de ses réactions face aux expériences traumatisantes, en général.

Comme l'a souligné J. Laplanche, "Il faut toujours au moins deux traumatismes pour faire un traumatisme" rappelant ainsi la théorie des "séries complémentaires" de Freud. Il y a fréquemment des relations en cascade entre les événements vécus dans la vie professionnelle et ceux de la vie dite personnelle. Certains ont un mode de relation avec leur travail distinct de celui qu'ils établissent dans la vie privée. Cette façon de gérer leurs liens permet ainsi de s'aménager des compensations. Pour ceux qui n'établissent pas un fonctionnement différent, les conséquences des événements d'un domaine sur l'autre sont très claires. Il est possible d'observer les conséquences de situations difficiles vécues sur l'un des versants de la vie, personnel ou professionnel, sur l'autre versant. Par exemple la mort d'un parent est fréquemment identifiée un an environ avant la perte d'un emploi difficile à gérer ; un divorce et une mise sur la touche ; une rupture d'emploi et un divorce. Autre exemple de double traumatisme, mais celui-ci plus clair en apparence dans sa relation de cause à effet est le fait d'une vente forcée de la maison de la famille après une perte d'emploi.
Le chômage de très longue durée (trois ans et plus) est fréquemment relié à un double traumatisme (parfois un ensemble de ruptures successives) telle une double perte d'emploi, donc double traumatisme. En effet, nous avons pu confirmer le fait qu'un traumatisme de licenciement n'est jamais "oublié" par l'organisation psychique du sujet. Il reste encré dans cette "mémoire psychique" plusieurs décennies, voire toute la vie. S'il est relié au plus récent les risques de difficultés seront grands. Par exemple, lorsqu'un sujet a vécu une période de première insertion longue et difficile, où "la galère des petits boulots" va de pair avec un sentiment de rejet et d'abandon par la Société, celles-ci sont directement reliées par l'organisation psychique lors d'un nouveau licenciement. Même si celui-ci intervient vingt ans après. Le niveau de corrélation est significatif avec un chômage de longue durée (corrélation à .01, Le Parcours d'Insertion des Jeunes, Dominique Clavier, Bernard Gillet et Coll. publication A.N.P.E. 1990)

Un double travail devra être entrepris par l'organisation psychique. Un travail d'élaboration du traumatisme et un travail de deuil de la séparation, de la perte des différents liens.

Troubles somatiques
Adapté ou non à cette société qui valorise le "travail", un sujet peut somatiser gravement à la suite de la perte de son emploi. Les taux de mortalité sont plus élevés au chômage que dans une situation d'emploi. Il en est de même pour les premières années après le départ à la retraite, s'il n'y a pas d'autre intérêt venant équilibrer l'investissement du "travail".

L'investissement du travail correspond à un refoulement réussi, selon l'heureuse expression de SAMI-ALI, puisque toute pulsion créatrice, toute vie imaginaire est refoulée au profit de la seule adaptation au travail et à la reconnaissance des normes imposées par notre société.
La perte de l'emploi vient donc mettre en échec le refoulement, et la symptomatologie due à la désorganisation de l'appareil psychique portera souvent sur le plan somatique. Voici quelques exemples fréquents et caractéristiques (provenance : étude Panorama du Médecin) proposés ici à titre d'illustration. La jeune femme, employée, qui se sent migraineuse et anxieuse, prend du poids et dans des cas plus graves, a des troubles névrotiques et des palpitations. L'homme d'environ 40 ans, cadre moyen, qui fume de plus en plus, s'alcoolise, est insomniaque, souffre d'épigastralgie, de troubles de l'humeur et a des difficultés relationnelles. L'homme d'environ 50 ans, cadre supérieur, qui présente des douleurs ulcéreuses, souffre de précordialgie et a des difficultés sexuelles. Nous pouvons tous ajouter, tel que nous l'observons autour de nous, les dépressions, cancers, ulcères, maladies cardio-vasculaires, tentatives de suicide, et ratages en tout genre.

Élaboration du traumatisme
Élaborer un traumatisme signifie, pour l'organisation intrapsychique, l'accomplissement d'un travail en vue de maîtriser les excitations lui parvenant en trop grande quantité à la suite du choc violent chargé d'affects, et dont l'accumulation risque d'être pathogène. Habituellement, la voie normale qui permet à un sujet de faire face à une situation difficile est l'abréaction. Elle empêche spontanément que l'événement soit chargé de façon trop importante d'un affect et devienne pathogène. Elle aide à faire les liens entre les événements, ou à les dériver et ainsi, à maîtriser l'énergie.

S'il n'y a pas eu de possibilité d'abréaction pour maîtriser l'énergie surabondante et sidérée, le traumatisme sera toujours présent dans la vie du sujet. Le risque étant la superposition avec un autre choc émotionnel chargé d'un affect, comme abordé plus haut.