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Le travail en tant qu'Action
Faire son travail. Cela signifie, pour l'homme, transformer avec son énergie et éventuellement avec celle d'une machine, soit une matière, soit des informations pour y apporter une plus-value. Il produit. C'est dans l'action que l'acteur à l'occasion de confirmer sa qualification, son habilité, ses compétences, et d'élargir le champ de ses expériences relationnelles. C'est aussi au travers de l'action qu'il participe à la structuration de son moi. En s'impliquant dans des actions collectives, il force à transcender les préoccupations personnelles et ainsi apprend à résister à la frustration.
Cette activité de travail ne peut être abandonnée, reprise, ralentie, au gré de celui qui la pratique. Le contenu des fonctions, le rythme même des tâches sont définis par l'employeur ou par des services d'organisation du travail dont le premier souci est de réduire les coûts. Il ne peut l'interrompre sans entraîner une perte indiscutable de son revenu.

Agir dans une situation de travail sous-entend produire. C'est sur ce plan que le débutant est en situation de porte à faux.
La situation de formation à l'école où en apprentissage est une situation de type de consommation. Apprendre c'est incorporer, ingérer des informations (connaissances) ou des gestes (savoir faire). Les unes et les autres sont à l'opposé de l'action à produire. Ils représentent l'investissement nécessaire, mais qu'il faudra savoir gérer et mettre en ?uvre pour passer à la production rentable.
Contrairement à la phase d'acquisition qu'est la formation, tourner vers la consommation, l'action de travailler est productive, tourné vers l'extérieur de soi, vers la matérialisation d'une énergie personnelle, de son savoir et de sa concrétisation, vers le don de soi, de ses compétences et de ses talents, pour la réalisation d'un objet, ou d'un service, destiné aux autres.

Il est aussi possible d'apprendre en produisant. Les entreprises qui réussissent sont justement celles qui ont pour pratique de formaliser un acquis en termes de connaissances et de savoir faire après chaque action nouvelle, même peu fréquente.

Parfois l'action nécessite de puiser en soi toutes ses ressources disponibles pour être menée à bien. Après l'intérêt de l'entreprise, l'engagement dans l'action, la recherche d'une méthode et sa confrontation avec le terrain investi, une phase de découragement peut prendre place. C'est en ce sens que l'étayage à toute sa valeur.

Nous connaissons tous, des personnes appréciant la présence physique de collègues, responsables hiérarchiques, clients, ou "membres de la tribu" lors d'un travail délicat à exécuter ou particulièrement pénible.

Le travail en tant que Résultat
Le résultat est la plus-value, l'accroissement de la valeur d'un bien concret, matière première, ou abstrait, information. C'est avec ce résultat que le travail devient valeur sociale et procure une reconnaissance symbolique. Il est aussi, pour l'acteur, le symbole de son lien avec l'entreprise. Ces résultats s'expriment sur différents axes dans l'organisation selon les compétences dont dispose celle-ci.

Faire partie d'une entreprise c'est lui apporter des résultats. Reviviscence des anciens liens d'allégeances féodaux, les résultats restent la preuve de la valeur que l'on peut s'accorder et le contrat qui nous lie à l'autre partie. Tant qu'il existe une productivité le lien est tangible.

La productivité est directement liée soit à une valeur marchande soit au fonctionnement interne. Elle a des effets concrets, observables, vérifiables qui s'expriment soit en faits précis, soit en chiffres soit en pourcentage. Tout poste quelqu'il soit dans une organisation commerciale ou de service public doit, pour se justifier, apporter des résultats.

La productivité en valeurs marchandes se traduit par des résultats que l'on recherche généralement en augmentation dans les domaines suivants:
La qualité, le chiffre d'affaires, la production, les bénéfices, la rotation de stocks, la fidélisation, le nombre de clients.

La qualité doit progresser en permanence pour favoriser le chiffre d'affaires en augmentant le nombre de clients tout en les fidélisant, ce qui permet de consolider l'entreprise dans sa pérennité. Une plus grande rotation des stocks et des bénéfices en plus encourage les investisseurs en permettant à l'entreprise de faire preuve du dynamisme nécessaire à la progression.

Plus l'entreprise devient importante plus elle doit assurer une productivité en fonctionnement interne se traduisant par des résultats que l'on recherchera généralement en diminution dans les domaines suivants:
Les erreurs, les coûts, les temps, l'absentéisme, la rotation des effectifs, les accidents, les incidents, les réclamations.

Ces résultats, recherchés en moins, sont directement liés aux surcoûts empêchant l'entreprise de progresser en étant compétitive et apportant satisfaction à ses clients.
Il arrive que le résultat ne soit pas perçu comme raison essentielle du lien avec son entreprise, mais subordonné à l'acte de présence, voire subordonné aux liens affectifs. . . .
Donner du sens à ce qui est visé permet de ne pas se sentir étranger à ce qui est produit. Apporter du sens c'est combattre les sentiments d'aliénation. Ce sentiment d'aliénation n'est pas lié au niveau de qualification des sujets. Il peut se rencontrer à tous les échelons de l'entreprise. J'ai pu constater dans une organisation qu'il pouvait en être ainsi à des postes de responsable de service. Imaginez-vous à la place de cet ingénieur, produisant des données statistiques et utilisant une grande part de son énergie à éditer tous les mois un rapport destiné à l'un de ses collègues trois bureaux voisins, lorsque j'ai dû lui dire que celui-ci était "systématiquement classé verticalement" sans être lu par son destinataire.

Le travail en tant qu'Evaluation
L'action aboutira parfois sur une expression du type : "ça c'est du travail" ou bien "ça c'est pas du travail" impliquant ainsi les notions de bonne ou mauvaise méthode, des propriétés de finitude et de complétude, et la capacité de l'acteur à cerner, ou non, les règles nécessaires au résultat recherché. Ce qui n'est ni fini, ni complet (ni fait ni à faire) ne peut être considéré comme un travail et se voit qualifié de "bricolage", "d'ébauche", "d'amateurisme".

Dans le cas où l'acteur est amené à exécuter une tâche dans l'organisation à quelque niveau que ce soit, sans en percevoir l'objectif, sans possibilités de représentation mentale de la portée de son rôle, il n'est guère possible, pour lui, de s'identifier en tant que professionnel. Il ne peut donc accorder de sens à l'évolution de sa qualification, au perfectionnement de ses compétences et à l'élargissement de son champ d'expériences.

Les gouvernements, les gestionnaires de l'emploi, les chefs d'entreprise, les responsables des ressources humaines dans les organisations, les formateurs, tous sont confrontés au fait qu'il est difficile de proposer aux personnes sans qualification d'en acquérir une, de suivre une formation qualifiante. Mais quel serait donc le sens, pour une personne qui exécute une tâche qui n'est pas considérée comme un travail (puisque non fini, ni complet), d'accéder à une qualification ? Quel serait pour lui, ou pour elle, le sens de devenir un "professionnel" et non plus un "amateur", un "bricoleur" ?

Le monde des "professionnels" est un monde, comme tous les autres mondes, qui souhaite transformer son entourage à sa propre image, méritante. Il est certain qu'avec une qualification beaucoup de gens seraient moins dépendants de l'environnement pour affronter les réalités concrètes de la vie économique. Il n'y a donc, en apparence, aucune raison de ne pas les pousser à suivre une formation bien qu'il soit aussi reconnu des besoins pour encore longtemps de personnes non qualifiées! Et bien si! Tel que l'on s'y prend généralement, nous ne pouvons qu'enregistrer des échecs renforçant l'individu dans ses positions.
Nous présentons des arguments correspondant à nos mécanismes de défense nous poussant à l'indépendance et à une certaine autonomie face à cette réalité. Tout se passe comme si nous nous adressions à un étranger. Sa réalité psychique et celle de celui qui émet des souhaits pour lui sont étrangères l'une de l'autre. C'est ainsi, qu'en imposant son point de vue, avec ses propres projections et autres mécanismes de défense, sans arriver à comprendre ce qui est vécu, il ne fait que renfermer l'autre dans son monde. L'enfermer dans son aliénation.

La réalité d'une personne sans qualification est de vivre, voire de survivre. Vivre une vie gérée par des Instances dont la nature concrète lui échappe et dont il vaut mieux se protéger. Instance qui symboliserait une Mère castratrice refusant la concurrence. Avec une image de soi négative, passer du côté des professionnels, lorsqu'il est impossible d'y accorder du sens, c'est prendre le risque de la destruction, de se perdre. Refuser de "passer de l'autre côté" c'est préserver sa liberté psychique.

Le travail en tant qu'Objet
Est considéré Objet ce qui est perçu ou pensé.
Est considéré Sujet celui qui est percevant, pensant et connaissant.
Ce qui est perçu ou pensé s'oppose à l'être percevant et pensant. L'objet est ce en quoi et par quoi la pulsion cherche à atteindre son but: un certain type de satisfaction. Il peut s'agir d'une personne (objet total ou partiel), d'une entité, d'un objet réel, d'un idéal ou d'un objet fantasmatique. Ce qui implique la notion de choix d'objet. Cette notion est intégrée, en psychanalyse, à la théorie de la sexualité et concerne la nature d'un lien fixé à partir de l'élection, par le sujet, de son objet d'amour (ou de haine). Le choix participe étroitement de l'histoire personnelle du sujet.
Laplanche et Pontalis distinguent le choix d'objet narcissique du choix d'objet par étayage "Terme introduit par Freud pour désigner la relation primitive des pulsions sexuelles aux pulsions d'autoconservation : les pulsions sexuelles, qui ne deviennent indépendantes que secondairement, s'étayent sur les fonctions vitales qui leur fournissent une source organique, une direction et un objet.
En conséquence, on parlera aussi d'étayage pour désigner le fait que le sujet s'appuie sur l'objet des pulsions d'auto-conservation dans son choix d'un objet d'amour : c'est là que Freud a appelé le type de choix d'objet par étayage".

L'homme peut investir tout ou une partie de son potentiel de soin et d'attention sur un objet. Tels par exemple l'ébéniste qui soignera la patine d'une table ou d'une bibliothèque, le mécanicien qui règlera un moteur de voiture, ou le programmeur informaticien qui recherchera toutes les possibilités d'apporter à son logiciel des moyens d'utilisation simples et adaptés. Afin que ce qui est produit devienne autre chose qu'une matière transformée, qu'une difficulté maîtrisée par une technicité, ou que des informations bien gérées. C'est pour son auteur un objet de garantie de survie par le fait de sa capacité à le produire. Il est parfait, tout en lui reconnaissant des tas d'imperfections. C'est à la fois lui-même au travers de cet objet, et rien d'autre qu'une matière première ou une information ou une idée. Celui-ci lui appartient, tout en reconnaissant qu'il n'a aucun droit dessus. Il devient objet d'étayage. Il devient objet d'amour.

Différencier de son créateur et néanmoins lui appartenant c'est, pour son auteur, un objet, support projectif, preuve de sa capacité à produire, et par la même garant de sa survie. Intériorisé et néanmoins extérieur à lui, il peut donc projeter toutes ses ambivalences, objet parfait et néanmoins imparfait, à la fois bon et mauvais.
Cette relation rend l'homme dépendant de son objet d'amour dont la possession ou la création, lui apporte gratification.
Le travail en tant qu'objet peut être autre chose qu'un objet d'étayage. Il peut recouvrir un choix narcissique par le désir de lui être semblable ou au contraire le rendre semblable à soi. C'est ainsi que ce qui est produit, vendu, livré, étudié, etc... doit bénéficier d'une image valorisante pour que le sujet ne se sente pas profondément remis en cause. Le client devra alors être conforme aux attentes et utiliser son achat dans les normes. Tel cet artisan qui refusera la vente d'un meuble de style Louis XV parce que l'acheteur l'aura informé de son désir de le mettre dans son salon meublé en style "Extrême Orient« .

Le travail en tant que Territoire
Terrain de jeu mais aussi de chasse ou de repli.
C'est le terrain, réel ou imaginaire, investi d'un sens de la propriété et par extension responsabilisé. Il polarise les pulsions agressives de l'individu afin de le protéger dans son intégrité ou d'étendre ses limites d'investigation. L'individu voit s'accroître ou diminuer son pouvoir, que celui-ci soit formalisé sur l'organigramme ou informel, en s'exerçant au jeu complexe des luttes d'influences.

Ce territoire est en permanence réajusté en fonction de ce que chacun est prêt à accepter comme tâche, responsabilités ou terrain d'investissement. Ceci en relation avec sa capacité d'aménagement de ses pulsions et de ses angoisses. Ce réajustement fait, non seulement sur l'image que l'acteur a de lui et de ses compétences mais également sur l'image qu'il se fait des territoires périphériques à investir ou à refuser. Plus l'image de soi sera forte et l'image des territoires périphériques valorisante plus les désirs d'investigation seront importants et puissants.

L'image des territoires périphériques pour se construire aura besoin d'une masse d'informations (sur les postes, les fonctions la norme du groupe etc...) qui sera confrontée et comparée par l'acteur, à son propre système de référence et lui transmettra des impulsions le poussant ou le freinant dans ses désirs d'investigation.

Une des composantes des limites de ce territoire est la masse d'information dont dispose chaque acteur. Informations en relation à la fois avec le poste, la fonction, mais aussi la norme du groupe et le statut que l'on accorde à chacun des membres. Dans un registre de gestion de soi au travail, il s'agit d'alimenter et d'adapter en permanence son stock d'informations...
Rechercher à étendre son territoire n'est pas toujours en relation avec une volonté consciente. C'est parfois un mouvement, une poussée incontrôlable qui fait dire "Je ne peux pas faire autrement", "C'est naturel d'avancer", "celui qui n'avance pas recule", "C'est un jeu"...
Un exemple éclairant particulièrement : En possession de moyens psychologiques et cognitifs importants un jeune ouvrier du secteur du livre s'évertuait à faire des propositions pour améliorer soit la production, soit la qualité du travail. Les petits changements qu'il proposait au début lui permirent d'obtenir la charge d'un dossier. Celui-ci lui donna l'occasion de participer à des réunions. A ces réunions différents problèmes traités lui fournissaient la possibilité d'accéder à des informations le favorisant pour traiter non seulement son dossier, mais en prendre en charge quelques autres. La direction fut dans l'obligation de lui accorder une promotion pour équilibrer sa situation avec ses responsabilités. C'est ainsi que de promotion en promotion il se trouve, moins de quinze ans plus tard membre du directoire d'une importante entreprise.

Le travail en tant que Statut
L'état est le statut, un rang dans la reconnaissance sociale de l'activité professionnelle qui comporte en soi un niveau socio-économique mais aussi une valorisation ou dévalorisation de la part de la Société en fonction des modes, de l'évolution culturelle ainsi que des préoccupations sociales. Par exemple, le métier d'agent en réclame autrefois dévalorisé, est devenu aujourd'hui conseil en publicité et, enrichi de connaissances nouvelles, fait l'objet d'études commerciales approfondies.
A l'inverse, le métier d'instituteur ne bénéficie plus de l'image valorisée et porteuse d'espoirs qu'elle détenait au début de ce siècle.
Il y a des activités professionnelles qui déclenchent un sentiment de honte lorsque la question se pose de l'annoncer.
Cependant, l'image accordée par une Société à une activité est différente d'un individu à un autre et peut être parfois loin de la réalité quotidienne. D'où la nécessité, pour les sujets en cours d'élaboration de projet professionnel de rencontrer des personnes exerçant l'activité visée.

Etre reconnu et exercer une activité valorisée est important pour le confort personnel. Dans sa recherche de cohésion, tout groupe valorisera sa propre image -nous sommes un bon groupe, les meilleurs, les plus forts, les indispensables, etc...- pour garantir son existence en renforçant sa cohésion, tout en déniant une réalité extérieure. Ce qui pousse certains groupements d'activités professionnelles à demander aux responsables de gouvernement une reconnaissance de leur métier. Mais là où les difficultés commencent c'est lorsque l'activité concernée souhaite sa reconnaissance pour elle-même et non pour ce qu'elle produit et les résultats qu'elle obtient.
Ce phénomène est aussi observable à l'échelon individuel. La recherche de valorisation narcissique dans une activité, passe parfois avant l'intérêt des actions menées et sa production. A tel point que lorsqu'une personne dans cette situation perd son emploi c'est avant tout son état qui est perdu, l'activité, la production, les relations, sa force de travail, ses valeurs passent au second plan. Ce qui fait dire à certains: "je ne suis plus rien"!

Le travail en tant que Temps
. . . un espace temps non disponible pour des loisirs et réservé de manière impérative, à une situation de travail. Le temps de travail est placé en opposition au temps de non-travail et est relié, le plus souvent, à une situation d'obligation et de contrainte.
Goldthorpe a relevé auprès d'ouvriers anglais que leur centre d'intérêt vital est leur vie privée, leur vie familiale, bref leur non-travail. Ainsi chacun chercherait à s'assurer les biens qui enrichissent son temps d'autonomie, tout en limitant le poids du travail qui les lui apporte. Cependant, c'est en partie, en confrontation avec les frustrations qu'il implique, que le travail est reconnu comme un facteur d'équilibre psychologique et de structuration de la personnalité. Selon Freud, il est un phénomène décisif dans l'ascension de l'homme au dessus de l'animalité.

Une autre idée est que le travail, en structurant le temps, favorise la structuration de la pensée. Il y a là un aspect horizon temporel, avec des répercutions sur la manière de penser. Le temps, le rythme de la semaine, du mois est perturbé en cas de perte d'emploi ou simplement, parfois, en cas de changement de tâche et de fonction.

. . . Le temps de travail existe en rapport au temps du non-travail et est mesurable, quantifiable par les horaires et le calendrier. Le travail a, ainsi, un rôle instrumental en marquant le temps par une succession rythmée d'événements porteurs de sens grâce au langage et aux représentations qui y sont liées. Tout autant que les phénomènes qui se renouvellent sans cesse telles les feuilles qui roussissent avant de tomber signifient l'automne, les grands froids marquent l'hiver, les bourgeons sur les arbres annoncent le printemps. Le jour et la nuit... etc... la nuit tombe vite l'hiver, tard l'été. Le rythme individuel de travail est le temps utilisé pour mener une action et celui entre deux actions (une terminée, l'autre pas encore commencée) .

Le temps qui passe pour chacun de nous, nous confronte à la réalité extérieure la plus implacable qui soit: "l'ennemi vigilant et funeste, l'obscur ennemi qui nous ronge le c?ur" a écrit Baudelaire dans "Spleen et Idéal". Quoi que nous fassions le temps suit son cours, rien ne peut l'arrêter et cela, nous le savons tous. Pourtant le déni de cette réalité est le mécanisme de défense le plus fréquent qu'il nous soit donné d'observer avec celui de la projection. Combien de personnes vont rechercher à valoriser en premier lieu leur dynamisme et leurs "artères de vingt ans" malgré leur âge avancé plutôt que de présenter ce que leur expérience a de positif et détient de richesses. Le narcissisme est l'ennemi du temps qui est richesse en soi.
Combien d'ingénieurs, par exemple, semblent surpris lorsque leur direction leur demande de quitter leur table à dessin pour prendre des responsabilités de gestionnaire d'équipe de travail ou de suivi de réalisation, considérant que "ce n'est plus de leur âge". Dans ce cas, leurs regrets de ne plus faire ce pourquoi ils ont été directement formés, de ne plus être guidés dans les actions entreprises, les empêchent de progresser et les transforment en personnages aigris. Cela procède du même principe que le fait de regarder une personne du sexe opposé de l'âge auquel on est resté il y a... déjà si longtemps? Sans que l'on prenne conscience du temps qui s'est écoulé.
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Le sens du travail

Les textes qui constituent cette page proviennent des travaux de Dominique Clavier et plus particulièrement extraits de l'article « Le sens du travail » paru dans la revue Carriérologie et du chapitre « La relation au travail » dans le livre « Accompagner sur le chemin du travail » Dominique Clavier et Annie di Domizio aux Editions Septembre Canada.

Un questionnaire est à votre disposition pour identifier le sens que vous accordez à votre travail.Voir la rubrique Outils et questionnaires



Que représente le travail pour l'homme ? Quel sens a-t-il pour celui-ci en dehors du seul fait de lui permettre de gagner de l'argent ? Mais à quoi cela peut-il servir de s'interroger sur cette question, alors que la réponse est évidente -gagner de l'argent- et qu'il se trouve bien d'autres sujets qui en apparence apporteraient des réponses concrètes au problème du travail et des travailleurs ? Il est vrai, qu'un grand nombre d'individus, avant de s'être interrogé réellement sur le sujet tente de diviser leur vie en deux parties distinctes: La Vie Personnelle et La Vie Professionnelle. Ce clivage, cette séparation de deux mondes qui se voudraient étrangers, signifierait que l'homme applique des règles et des procédures différentes selon la partie de sa vie dans laquelle il se trouve et qu'il n'y vit pas des affects de même nature. Comment pourrions-nous alors expliquer que Paul est plus performant avec Jean qu'avec Claude tout en exerçant la même activité ? Pourquoi Pierre fait-il une dépression en perdant son emploi alors qu'il est indemnisé et se félicitait de la liberté qui l'attendait ? Certaines réponses à l'ensemble de ces questions se trouvent au revers de la médaille : dans la situation de non-travail, lorsque l'emploi n'est plus ou n'existe pas encore. Comme si, pour connaître le "côté bonne santé" d'une Société il était nécessaire d'étudier son "côté affaibli".
Dans cette perspective les périodes de crise et de mutation offrent en un laboratoire propice aux économistes, sociologues et psychologues. Ils peuvent y observer des situations de non-travail, de perte d'emploi, d'adaptation plus ou moins "forcée" à des nouvelles méthodes de travail, de mobilité professionnelle, et constater ce qu'elles représentent de traumatisme et d'effets psychosomatiques. C'est ainsi, par son contraire, que nous pouvons apprendre sur le travail lui-même au travers d'une situation de perte d'emploi et de non-travail. Cependant les recherches fondamentales, dans ce domaine, sont trop peu nombreuses, ce qui ne permet pas d'avancer rapidement dans la connaissance. Par ailleurs, l'ensemble des études dans ce domaine s'étaye le plus souvent sur des considérations sociologiques, ou économiques plutôt que sur les bases de la psychologie individuelle. Les travaux réalisés dans ce cas, sont certes importants et apportent un éclairage considérable sur la relation de l'homme avec son travail. Ils sont toutefois liés fortement à la culture, voire au courant de pensée du moment. La tentative que je propose dans ce texte est de dégager des éléments de la psychologie profonde de l'individu en relation avec son travail et, en premier lieu, d'identifier ce qui lui permet de maintenir son équilibre personnel. . .

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Le Travail outil de maintien de l'équilibre.

Nous pouvons contacter tous les jours dans notre entourage que chacun dose et répartit ses investissements de façon très personnelle, plus ou moins consciente, voire savante, et souvent de façon heureuse. Il s'agit de préserver l'intégrité de sa sphère personnelle, son monde intérieur, sa santé. Tel, par exemple celui qui s'investira dans un loisir lui permettant de trouver les satisfactions absentes de son cercle relationnel professionnel. Tel autre recherchera à échapper à une famille trop prégnante ou, au contraire insuffisamment soutenante. Tel autre, encore, passera le plus clair de son temps au travail il pourra ainsi fuir ses angoisses face au vide ou bien encore de se dédouaner d'une culpabilité inconsciente. Bien entendu ces exemples sont proposés à titre illustratif et n'ont aucune valeur opératoire. Prononcer que tel individu gère sa vie de telle manière pour telle raison c'est faire ce qui est communément appelé en psychanalyse une interprétation sauvage. Bien heureux est celui qui, conscient, peut l'exprimer pour lui-même. Chacun trouve son équilibre d'une façon qui lui est propre, en fonction de sa personnalité, de son histoire, de sa culture, de son environnement, de sa perception du contexte dans lequel il se situe ainsi que de l'image qu'il a de lui. "L'Honnête Homme" ne pensera rien de semblable tant que l'intéressé ne l'aura pas découvert lui-même. Il ne s'agit pas de simplifier ce qui est extrêmement complexe et imbriqué.
Tout organisme est confronté à deux pôles : l'homéostasie et l'adaptation. L'adaptation pour créer le mouvement et, tel le funambule, se servir de l'action pour garder l'équilibre, l'homéostasie pour, hors de toute nouveauté, se servir de l'immobilité comme moyen d'équilibre. Chaque élément interagit sur les autres tel un rouage: un système. Cette notion d'équilibre est compliquée par la juste combinaison de forces et le bon fonctionnement de l'activité mentale et corporelle. Rappelons ici que l'équilibre n'est pas obligatoirement lié à la bonne santé mentale. Il peut être réalisé à partir d'une santé faible et fragile. Un individu dans cette situation peut très bien vivre une vie de famille et faire face à des obligations professionnelles. Voici un exemple: Claude est hospitalisé en psychiatrie durant de longs mois. Sa sortie est conditionnée à l'obligation d'un suivi fréquent et régulier avec un thérapeute. Plusieurs années seront nécessaires avant de pouvoir fonder une famille et exercer une activité professionnelle. Son équilibre repose aujourd'hui sur sa femme, ses enfants, un petit commerce, son thérapeute et parfois une hospitalisation incontournable. L'équilibre est propre à l'individu considéré en lui-même. Il ne peut toutefois se concevoir sans sa culture, ses échelles de valeur et sa façon de s'y conformer ou de s'en écarter. Il est essentiellement dynamique, sans cesse à reconquérir et en réajustement. A noter qu'il peut aussi dépendre de la santé mentale d'un groupe social, d'une famille ou d'une nation.
Un groupe peut être "aliéné" pour permettre à chacun de ses membres de fonctionner et de trouver son équilibre. A l'inverse, une personne peut être mise en difficulté pour permettre à un groupe d'appartenance de trouver son équilibre. Cette santé mentale collective n'est, pour la théorie des systèmes, aucunement réductible à la somme ou la moyenne des niveaux de santé mentale des individus qui composent le groupe. Selon J.M. Sutter, elle dépend en grande partie de la place donnée dans la conscience de chacun d'eux et en particulier des dirigeants et des organisateurs, aux préoccupations sociales, à la notion de devoir collectif, à la lutte contre l'égoïsme et l'agressivité, au contrôle de l'esprit de domination et de puissance. . .

Marie Jahoda
Une des toutes premières études à noter particulièrement sur l'apport du travail est celle réalisée à deux reprises par Marie Jahoda à presque cinquante ans d'intervalle. La première fut menée à MARIENTHAL dans l'Autriche des années 1930, période de crise très marquante. Elle put être confrontée à la deuxième menée dans les pays anglo-saxons dans les mêmes conditions mais cette fois-ci sur le chômage des années 1980, une autre période de crise. De cette confrontation Marie Jahoda relève 7 fonctions notables qui soulignent que le travail parait jouer en réponse à des besoins psychologiques:
1/ On déclare travailler pour gagner sa vie, de l'argent. Le travail procure des revenus et des moyens de consommation. Il s'inscrit dans un échange économique lié à la contribution apportée. Pourtant même lorsqu'il y a indemnisation la situation de non-travail est toujours vécue comme frustrante.

2/ Il procure une structuration du temps, et des temps de vie quotidienne, en fournissant notamment des repères, et une organisation de la pensée.

3/ Il donne l'occasion d'activités régulières, voire habituelles et répétitives.

4/ Il développe les occasions d'interactions sociales, et offre des possibilités d'élargissement du champ des expériences relationnelles.

 5/ Il implique dans des actions collectives et permet une contribution individuelle donnant le sentiment d'être utile à la société, en transcendant les préoccupations personnelles.

6/ Il est l'occasion de manifester et de développer des capacités, habiletés et compétences, voire de la créativité et des qualifications. Il offre la possibilité d'une actualisation du savoir faire.

 7/ Il alimente le sens de son identité, de l'image et de l'estime de soi. Il est donc source de l'identité personnelle.

L'étude de Marie Jahoda nous fournit un éclairage sur ce que peut apporter le travail. L'auteur précise bien que le fait d'apporter une rémunération est vital pour l'acteur mais rappelle, que lorsqu'il y a indemnisation dans la situation de non-travail, c'est d'autre chose dont il est question: la frustration est toujours présente.
D'où provient-elle? Quels seraient ces éléments secondaires qui nous apporteraient tant de bénéfices que nous préférons, pour la plupart d'entre-nous, travailler plutôt que d'être indemnisés sans emploi? Que recherche-t-on comme bénéfices secondaires dans le travail?
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Durant dix années (1982 ? 1992), l'équipe de psychologues chercheurs (37) ont recueilli avec Dominique Clavier, par une méthode clinique construite pour cette occasion et utilisée soit en entretien soit en groupe, des données "préconscientes", censurées à la conscience au sens descriptif du terme parce que correspondant à des préoccupations perturbantes, sur "Pourquoi travaillons-nous ?".
Les personnes concernées sont le plus généralement de différentes régions de France, d'autres sont en Europe du nord, sur le continent Américain, en provenance d'Afrique du nord ou d'extrême Orient. Elles sont de tous niveaux socioculturels, du cadre supérieur à l'employé sans qualification, et de tous les âges. Certaines d'entre-elles sont sans travail, les autres sont à des postes dans des organisations différentes.
Pour ces mille cent à mille quatre cents personnes concernées par an, travailler c'est:
- s'inscrire dans la société
- jouer un rôle quel qu'il soit
- être reconnu à ses propres yeux
- être reconnu aux yeux des autres
- être plus heureux
- lutter contre ses angoisses
- lutter contre sa culpabilité
- un moyen de stabiliser le flux de mes émotions
- un facteur de stimulation intellectuelle
- un moyen de s'enraciner dans la réalité
- un moyen de s'enraciner dans l'histoire
- être dans un processus
- être connecté dans la réalité
- être libre et avoir le sentiment d'être sortie du troupeau
- être autonome
- préserver une fierté
- contribuer à l'amélioration de la société
- utiliser son imagination
- prouver qu'on existe
- s'occuper, agir, car on ne peut rester sans rien faire
- se découvrir
- s'émerveiller soi-même
- rencontrer des gens, ne pas rester seul.
- se structurer, s'épanouir
- laisser une trace
- laisser un signe de soi
- donner un sens à sa vie
- donner un sens à la vie des autres
- s'enlever d'un poids
- être admiré
- utiliser mes talents
- être indispensable
- obliger les gens à passer par moi
- apporter des connaissances à des gens qui n'en disposent pas
- être libéré de ma mère
- ne plus supporter la volonté de ma mère
- utiliser mes compétences qui sont des membres qui s' ajoutent à mon corps
- me faire plus grand
- sortir de moi
- faire rêver les autres
- trouver mon équilibre
- accomplir des tâches qui me survivent
- être affranchi
- obtenir du pouvoir


. . . Nous le constatons à la lecture de ces "Pourquoi travaillons-nous?", l'obligation de travailler, pour la plupart des individus, dans notre contexte économique, nous autorise une rationalisation du "Qu'est-ce qui nous permet de survivre?". Qu'elle est l'enjeu? Celui-ci correspond bien à l'objet de nos pulsions de vie, la sauvegarde de l'espèce, les besoins primaires de nourriture et de protection contre les intempéries, etc... Le travail fait donc également partie intégrante de la sexualité de l'Homme. Mais il ne faut pas écarter de la pensée le fait que ce qu'il y a de fondamentale dans la pulsion c'est son contraire. Le travail nous permet ainsi d'aménager des réponses en face à nos angoisses de mort. -. . .- Face à ces angoisses chacun aménage ses intérêts dans la vie et polarise son attention de la manière qui lui semble la plus pertinente en fonction de ses mécanismes de défense. Faisons l'hypothèse que le choix de nos intérêts professionnels, de nos loisirs ainsi que la façon dont nous nous confrontons aux réalités de la vie sert de mécanismes de défense projectifs face à nos angoisses de mort.
 
L'occasion s'est présentée de vérifier ces hypothèses en comparant les bénéfices secondaires recherchés au travail, dans les loisirs, dans ce qui est exprimé dans les désirs, espoirs et rêves éveillés, avec les intérêts professionnels. Les corrélations sont évidentes avec, notamment, la théorie des intérêts.
Nous le redisons, chacun travaille en vue d'obtenir des revenus, de contribuer aux échanges économiques et culturels tout en renforçant la construction de son Moi (ce qui nous rend plus fort face à nos angoisses de vie et de mort). Mais le travail apporte directement à chacun la possibilité d'aménager celles-ci.

Quelque soit le mot utilisé pour parler de son activité travail, celle-ci, recouvre plusieurs sens en fonction de son mode de relation avec le Monde, en fonction du (ou des) mode relationnel mémorisé dans notre petite enfance et faisant partie intégrante de notre culture initiale. Dans le terme de travail, il peut être plus volontiers sous-entendu pour l'individu soit :
- un Lieu
- une Action
- un Résultat
- une Evaluation
- un Objet
- un Territoire
- un Etat
- un Temps
Il apparaît nécessaire d'insister sur le fait que ce mode de relation est individuel et comporte en soi les difficultés de l'individu en situation de conflit, de dysfonctionnement ou de rupture dans le travail. Cependant ce mode relationnel peut devenir collectif et ainsi faire partie intégrante de la culture organisationnelle du groupe de travail, de l'entreprise.
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Le travail en tant que Lieu
. . . Lorsqu'il exerce sa spécialité, le professionnel est rarement seul. Il est plus généralement entouré d'autres personnes: hiérarchiques, collègues ou collaborateurs. Cependant la production même de ce travail le confronte à cette solitude. C'est lui qui est en demeure de produire. Face aux présences, il est renvoyé à lui même et se heurte à ses propres difficultés dues à une confrontation à la tâche à exécuter, à ses manques en connaissances, à son savoir faire et à ses difficultés plus personnelles encore, ses capacités cognitives, la force de son Moi, sa résistance à la frustration, sa résistance psychologique etc...

Il est directement responsable de sa production qualitative et quantitative. Même dans le cas où cette production est groupale tel par exemple un groupe de chercheurs ou de techniciens réunis autour d'un même problème. Chacun des membres du groupe, face aux impératifs de production, doit faire entendre son point de vue sur les données recueillies, les méthodes à utiliser et les priorités à accorder ou apporter sa nécessaire contribution à la production du groupe. C'est en ce sens qu'il est confronté à sa solitude.

Plus un travail demande des efforts soutenus, soit dans le rythme, la cadence, soit dans l'application d'une technicité ou de réflexions personnelles, plus il aura de chance de voir se réaliser dans le cas où son acteur aura le sentiment d'être soutenu par son entourage. Maintes fois il peut être constaté qu'une production individuelle devient plus importante lorsqu'elle est réalisée au milieu d'autres personnes exerçant ou non une activité comparable ou complémentaire. Et lorsqu'il est possible de s'exprimer sur ce qui est vécu dans son travail, les relations sociales sont vécues comme un étayage fortifiant l'individu lui permettant de se confronter à la réalité présente qui reste celle de produire.
Ce lieu devient lieu d'étayage et autorise à se sentir plus fort face aux difficultés de la vie professionnelle mais aussi de la vie en générale.

Cependant, il arrive parfois, que l'étayage soit vécu comme absent ou insuffisant comportant des manques importants. Une image de soi en retrait face à l'entourage social (qui, dans ce cas devient destructeur) face aux problèmes à affronter et face à la nécessité de produire et d'apporter des solutions, transforme le lieu de travail en lieu d'anxiété. Telle, par exemple, la personne qui se sent de plus en plus mal au fur et à mesure que la fin de la semaine approche car son travail n'avance pas et qui se sent soulagée le vendredi soir. Telle, cette autre qui au fur et à mesure que le week-end se déroule voit son anxiété lui gâcher de plus en plus ses loisirs et se trouver à son point culminant le dimanche soir. Pour être vécu de façon moins anxiogène ce lieu doit être investi et sa culture appropriée...

Le lieu travail peut être choisi en fonction de ce qu'il peut apporter de valorisant pour l'image de soi. Il s'agira, pour l'individu, de s'identifier totalement aux personnes y travaillant. Leurs manières d'être, leurs intérêts, leurs modes relationnels, de communication ainsi que leur langage sont absorbés. . . .